Azteca
toujours paralysé dans son coin.
« Allons, quitte cet air collet monté, Qualcuie, me dit la petite
reine. Je ne voulais pas me moquer de toi, c’était pour contrôler tes talents
de dessinateur. J’ai quelque chose à te faire faire. » Elle interpella
brusquement sa servante.
« Pitza, arrête de te cacher, viens ici et rhabille-moi.
— Madame voudrait que je fasse le portrait de quelqu’un ? lui
demandai-je.
— Oui.
— Et de qui, Madame ?
— Je ne sais pas », me répondit-elle. J’étais stupéfait.
« Vois-tu, quand je me promène dans le palais ou que je vais en ville dans
ma litière, il serait malséant que je montre du doigt et dise : celui-ci.
De plus, je suis éblouie à cause des gouttes que je me mets dans les yeux et je
risque de ne pas voir quelqu’un de vraiment intéressant. Des hommes, bien
entendu.
— Des hommes ? répétai-je stupidement.
— Je veux que tu emmènes tes feuilles et tes craies partout. A
chaque fois que tu verras un bel homme, tu le dessineras pour moi. » Elle
poussa un petit rire. « Ce ne sera pas la peine de le déshabiller. Il me
faut le plus grand nombre de dessins de tous les hommes que tu sélectionneras.
Mais ils ne doivent pas savoir ce que tu fais, ni pour le compte de qui. Si on
te pose des questions, tu n’auras qu’à dire que tu t’exerces. » Elle
poussa vers moi les deux dessins que je venais de faire. « C’est tout. Tu
peux t’en aller, Qualcuie, et ne reviens pas avant d’avoir toute une liasse de
dessins à me montrer. »
Même en ce temps-là, je n’étais pas naïf au point de ne pas me douter
des intentions de Poupée de Jade. Mais, je tâchais de ne pas y penser et
d’accomplir cette mission du mieux possible. Le problème principal était de
savoir ce que représentait un « bel homme » pour une jeune fille de
quinze ans. Comme elle ne m’avait donné aucune indication, je me mis à faire
des croquis de princes, de chevaliers, de guerriers, d’athlètes et d’autres
robustes personnages. Pourtant, lorsque je revins la trouver, avec Cozcatl qui
portait la pile de dessins, j’avais, pour plaisanter, mis sur le dessus une
esquisse faite de mémoire, représentant le vieil homme courbé et tordu, couleur
cacao, qui avait fait de si curieuses apparitions dans mon existence.
Mais les paroles de Poupée de Jade me surprirent. « Tu as voulu
faire le malin, Qualcuie ! Pourtant, j’ai entendu des femmes se chuchoter
entre elles qu’on pouvait tirer des délectations particulières d’un nain ou
d’un bossu et même – elle jeta un coup d’œil vers Cozcalt – de petits garçons
avec un tepuli gros comme un pois. Un jour, quand je serai lasse de
l’ordinaire…»
Elle se mit à fourrager parmi les feuilles, puis elle dit tout à
coup : « Ayyo , Ayyo ! Et celui-ci, Qualcuie !
Il a le sourcil audacieux. Qui est-ce ?
— C’est Fleur Noire, le Prince héritier. »
Elle fit une petite moue. « Non, ça pourrait créer des
complications. » Elle continua à étudier chaque dessin. « Et
celui-là ?
— Je ne connais pas son nom, Madame. C’est un rapide messager que
je vois parfois apporter des plis.
— Formidable ! » Elle me tendit le dessin en
disant : « Qualcuie ! » Ce n’était plus seulement mon nom
qu’elle prononçait, mais aussi la formule impérative :
« Ramène-le. ». J’avais prévu que ça finirait ainsi, mais je n’en eus
pas moins des sueurs froides. Avec beaucoup d’hésitation, je lui dis, en y
mettant les formes :
« Madame Poupée de Jade, on m’a ordonné de vous servir et non de
vous corriger et de vous contredire. Mais je vous supplie de réfléchir. Vous
êtes la fille vierge du plus grand seigneur du Monde Unique, et l’épouse vierge
d’un seigneur qui n’est pas moins grand. Vous seriez indigne de ces deux
tlatoani, si vous alliez vous compromettre avec un autre homme avant d’entrer
dans le lit du Seigneur votre époux. »
Je m’attendais à tout moment qu’elle sorte le fouet dont elle se
servait pour ses esclaves, mais elle m’écouta jusqu’au bout, son ravissant
sourire sur les lèvres, et me dit enfin :
« Je pourrais te faire remarquer que ton impertinence mérite une
punition. Je te dirai simplement que Nezahualpilli est plus âgé que mon père et
qu’il a épuisé sa virilité avec la Dame de Tolan, ses autres femmes et toutes
ses concubines. Il me séquestre ici pendant qu’il essaye, sans aucun doute,
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