Azteca
chance de le rencontrer et je l’abordai comme si j’étais un jeune
noble voulant le charger d’un message. Je ne lui révélai pas mon nom, mais il
me dit : « Je m’appelle Yeyac-Netztlin. Je suis au service de votre Seigneurie.
— Au service d’une dame, rectifiai-je. Elle souhaite que tu
viennes au palais à minuit. »
Il se troubla. « C’est difficile de porter un message la nuit,
Seigneur. » Mais, son regard se porta sur la bague que je tenais à la main
et ses yeux s’agrandirent.
« Si c’est cette dame là, alors ni minuit, ni Mictlan ne pourront
m’empêcher d’y aller.
— Il faudra être très discret, lui dis-je avec amertume. Tu
n’auras qu’à montrer cette bague au garde pour qu’il te laisse entrer.
— J’obéirai, jeune Seigneur, J’y serai. »
Et il y fut. Je restai éveillé jusqu’au moment où j’entendis Pitza
guider Yeyac-Netztlin qui marchait sur la pointe des pieds dans le couloir.
Ensuite, je n’entendis plus rien, aussi je ne sais pas combien de temps il
resta, ni comment il partit. Je ne cherchai pas non plus à surprendre ses
visites suivantes, mais il s’écoula un bon mois avant que Poupée de Jade ne me
demande, bâillant d’ennui, de me remettre à mes croquis. C’est donc que
Yeyac-Netzlin lui avait donné satisfaction jusque-là. Le nom de ce rapide
messager, bien nommé, signifie Longues Jambes, et peut-être est-il pourvu
d’autres longs attributs.
Bien que Poupée de Jade ne m’ait rien demandé pendant un mois, je me
sentais mal à l’aise. Tous les huit jours, environ, l’Orateur Vénéré venait faire
une visite de politesse à sa petite reine choyée et patiente. J’étais souvent
présent à ces entretiens et je m’efforçais de ne pas montrer mon embarras. Je
me demandais comment Nezahualpilli pouvait ne pas voir qu’il avait épousé une
fille prête à être dégustée sur-le-champ, par lui ou par d’autres.
Les joailliers spécialistes du jade savent que cette pierre est facile
à découvrir au milieu des roches ordinaires, parce qu’elle se signale tout de
suite à l’attention. Allez vous promener dans la campagne au lever du soleil et
vous verrez, çà et là, des roches qui exhalent une brume légère, mais
indubitable qui semble proclamer fièrement : « Je contiens du jade,
venez donc me prendre. » Comme cette pierre recherchée dont elle tenait
son nom, Poupée de Jade dégageait un je ne sais quoi indéfinissable qui
semblait dire aux mâles : « Je suis là, venez donc me prendre. »
Se pouvait-il que Nezahualpilli fût le seul à ne pas se rendre compte de cette
ardeur et de cet abandon ? Etait-il impuissant ou indifférent, comme elle
le prétendait ?
Non. Quand je les voyais ensemble, je comprenais qu’il manifestait une
retenue et un respect d’homme bien élevé. Dans son refus pervers de se
consacrer à un seul amant, Poupée de Jade ne jouait pas devant lui le rôle
d’une jeune fille à peine nubile, mais celui d’une adolescente fragile et
immature condamnée à un mariage de raison. Au cours de ces visites, elle
n’était plus du tout celle que ses esclaves, moi et sans doute Yeyac-Netztlin,
connaissions. Elle portait des vêtements qui dissimulaient ses formes
provocantes et la faisaient paraître menue et enfantine. Elle arrivait à
dissimuler ce halo d’évidente sexualité, sans parler de son arrogance et de son
irascibilité. Jamais, devant lui, elle ne m’appelait Qualcuie ! Elle cachait
sa véritable nature. Topco petlacalco, « dans le sac, dans la
poche », comme nous disons en parlant d’un secret.
En présence de son seigneur et maître, elle ne se tenait jamais
langoureusement allongée sur une banquette, ni même assise sur une chaise. Elle
s’agenouillait à ses pieds, les jambes serrées, les yeux timidement baissés et
elle parlait d’une voix enfantine. Elle aurait presque pu me faire croire
qu’elle n’avait pas plus de dix ans, si je n’avais pas su qu’à cet âge-là, elle
avait déjà perdu son innocence.
« J’espère que votre existence vous semble plus agréable,
maintenant que vous avez Mixtli pour vous tenir compagnie », lui dit
gentiment Nezahualpilli.
« Ayyo , oui, Seigneur, sourit-elle. Mixtli est
irremplaçable. Il me montre et m’explique tout. Hier, il m’a emmenée à la
bibliothèque où sont les poèmes de votre estimé père et il m’en a même récité
quelques-uns.
— Et ils vous ont plu ? demanda le Uey
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