Barnabé Rudge - Tome II
dans le bourg à sa disposition.
Ce ne fut pas sans difficulté qu'ils y consentirent : pourtant
ils finirent par lui dire de faire ce qu'il voudrait, pourvu qu'il
les quittât le plus promptement possible, au nom du bon Dieu.
Laissant le sacristain à la tête du cheval, il
sortit la chaise en la faisant rouler de ses propres mains, et il
allait mettre aux chevaux les harnais, lorsque le postillon du
village, une espèce de vaurien et de vagabond, mais qui n'avait pas
mauvais cœur, en voyant la peine qu'il se donnait, jeta là la
fourche dont il était armé, en jurant que les émeutiers le
couperaient s'ils voulaient menu, menu comme chair à pâté, mais
qu'il ne resterait pas là, les bras croisés, à voir un honnête
gentleman, qui ne leur avait pas fait de mal, réduit à une telle
extrémité, sans lui prêter son assistance. M. Haredale lui
donna une cordiale poignée de main, et le remercia de tout son
cœur ; au bout de cinq minutes, la chaise était prête et le
bon drille sur sa selle. On mit l'assassin dans l'intérieur :
on baissa les stores, le sacristain s'assit sur le brancard ;
M. Haredale monta sur son cheval et ne quitta pas la portière.
Les voilà partis, au fort de la nuit et dans le plus profond
silence, sur la route de Londres.
Telle était la terreur générale dans le pays,
que les chevaux mêmes de la Garenne qui avaient échappé aux flammes
n'avaient pu trouver d'abri nulle part. Les voyageurs passèrent
devant eux sur la route, pendant qu'ils étaient à brouter un maigre
gazon ; et le conducteur leur dit que les pauvres bêtes
avaient commencé par venir errer dans le village, mais qu'on les en
avait chassées pour ne point attirer sur les habitants la colère et
la vengeance des ennemis de M. Haredale.
Et il ne faut pas croire que ce sentiment de
lâche frayeur fût borné à de petits endroits comme celui-là, où les
gens étaient timides, ignorants et sans secours. Quand ils
approchèrent de Londres, ils rencontrèrent, au faible crépuscule du
matin, de pauvres familles catholiques qui, sous l'influence des
menaces effrayantes et des avertissements répétés de leurs voisins,
quittaient la ville à pied, faute, disaient-elles, d'avoir pu
trouver à louer ni charrette ni chevaux pour déménager leurs
effets, qu'elles avaient été obligées de laisser derrière elles à
la merci de la populace. Près de Mile-End ils passèrent devant une
maison dont le locataire, un gentleman catholique d'une fortune
modique, après avoir loué un chariot pour le déménager à minuit
avait fait descendre, en attendant, son mobilier dans la rue, –
afin de charger sans perdre de temps. Mais l'homme avec lequel il
avait fait ses conventions, alarmé par les incendies de cette nuit,
et par la vue des émeutiers, qui avaient passé devant sa porte,
avait refusé de tenir sa parole ; de manière que le pauvre
gentleman, avec sa femme, quatre domestiques et leurs petits
enfants, étaient assis, grelottants sur leurs paquets, à la belle
étoile, redoutant la venue du jour et ne sachant comment faire pour
se tirer de là.
On leur dit qu'il en était de même avec les
voitures publiques. La panique était si grande, que les malles et
les diligences avaient peur de transporter des voyageurs de la
religion attaquée. Quand les conducteurs les connaissaient pour des
catholiques, ou obtenaient d'eux l'aveu qu'ils appartenaient à
cette croyance, ils ne voulaient pas les prendre, même pour de
grosses sommes d'argent. La veille même, il y avait des gens qui
évitaient de reconnaître, en passant dans les rues, des catholiques
de leur connaissance, de peur qu'il n'y eût là des espions apostés
qui pourraient les dénoncer et les brûler, comme ils disaient,
c'est-à-dire mettre le feu à leur maison. Un bon vieillard, un
prêtre, dont on avait détruit la chapelle, un pauvre homme, faible,
patient, inoffensif, qui s'en allait tout seul à pied sur la route,
dans l'espérance de rencontrer plus loin quelque diligence qui
voulût bien le prendre, dit à M. Haredale qu'il serait bien
heureux s'il trouvait un magistrat assez hardi pour se charger, sur
sa plainte, de faire mettre son prisonnier en état d'arrestation.
Malgré tous ces récits décourageants, ils continuèrent de se
diriger vers Londres, et, au lever du soleil, ils étaient devant
Mansion-House.
M. Haredale se jeta à bas de
cheval ; mais il n'eut pas besoin de frapper à la porte, car
elle était déjà ouverte, et sur le
Weitere Kostenlose Bücher