Ben-Hur
Évidemment le prédicateur parlait en ce moment, et dans leur désir de l’entendre, ils pressaient encore le pas de leurs montures, mais tout à coup ils remarquèrent que la multitude commençait à se disperser.
– Nous arrivons trop tard ! s’écria Balthasar en levant ses mains vers le ciel, avec un geste de désespoir.
– Restons ici, dit Ben-Hur, il se pourrait que le Nazaréen vînt de ce côté.
Chacun était trop préoccupé de ce qu’il venait d’entendre pour prendre garde aux nouveaux venus. Ceux-ci commençaient à perdre tout espoir de voir encore ce jour-là le prédicateur, quand ils aperçurent, se dirigeant de leur côté, un homme dont la singulière apparence absorba aussitôt leur attention.
Il y avait dans sa personne quelque chose de rude, de grossier, de sauvage même. Ses cheveux incultes retombaient sur son visage décharné et jusque sur ses épaules et son dos. Sa peau ressemblait à du parchemin, ses yeux brillaient comme la flamme. Son côté droit, aussi maigre et aussi brun que son visage, était découvert ; un vêtement en poil de chameau, retenu à la ceinture par une courroie en cuir non tanné, recouvrait le reste de son corps jusqu’aux genoux. Ses pieds étaient déchaussés, une gibecière pendait à sa ceinture et il s’appuyait en marchant sur un bâton noueux. Il avait des mouvements prompts et saccadés et rejetait à tout moment en arrière les cheveux rebelles qui persistaient à retomber sur ses yeux. Il regardait autour de lui comme s’il avait été à la recherche de quelqu’un. La belle Égyptienne considérait ce fils du désert avec étonnement, pour ne pas dire avec dégoût. Elle souleva un des rideaux du palanquin et appela Ben-Hur qui chevauchait à quelques pas d’elle.
– Est-ce là le héraut du roi ? lui dit-elle.
– C’est le Nazaréen, répondit-il sans lever les yeux.
À la vérité, il était lui-même plus que désappointé. Il avait pourtant souvent rencontré quelques-uns des ascètes qui habitaient En-Gedi et il connaissait bien leur costume, leur mépris de l’opinion du monde, et la fidélité avec laquelle ils observaient des vœux qui leur imposaient des tortures corporelles et les séparaient absolument du reste du genre humain. Cependant, bien que l’homme qui avait parlé du Nazaréen eût dit que celui-ci prétendait n’être qu’une voix criant dans le désert, Ben-Hur se faisait du roi qui devait venir une image trop brillante pour ne pas s’attendre à trouver dans son précurseur un être ayant une apparence divine et royale. Il ne put s’empêcher de comparer intérieurement cette sauvage figure avec les courtisans qui entouraient l’empereur à Rome, et honteux, décontenancé, il répéta : « C’est le Nazaréen ! »
Balthazar ne partageait point sa surprise ; il savait que les voies de Dieu ne ressemblent point à celles des hommes, d’ailleurs il avait vu le Sauveur dans une crèche et il était préparé d’avance à ce que la Révélation se manifestât d’une manière simple et sans aucun apparat. Il n’attendait pas un roi, lui, et les mains jointes, il murmurait tout bas une fervente prière.
Pendant qu’ils s’absorbaient ainsi dans la contemplation du prédicateur étrange, il y avait non loin d’eux un homme assis sur une pierre au bord de la rivière et qui paraissait plongé dans une profonde méditation. Il est probable que le sermon qu’il venait d’entendre faisait le sujet de ses pensées ; quoi qu’il en soit, il se leva tout à coup, quitta le rivage et s’avança à la rencontre du Nazaréen.
Quand celui-ci l’aperçut, il s’arrêta brusquement et fit signe à tous ceux qui l’entouraient d’écouter, puis il étendit sa main droite vers l’étranger sur lequel tous les yeux se fixèrent immédiatement. Il était d’une taille dépassant à peine la moyenne. Son maintien calme et digne, comme celui d’un homme dont les pensées s’occupent habituellement de sujets sérieux, s’harmonisait parfaitement avec son costume composé d’un long vêtement à manches et d’une robe de dessus appelée le talith. Il portait sur son bras le mouchoir destiné à couvrir sa tête. À l’exception de ce mouchoir rouge et du bord bleu de son talith, tous ses vêtements étaient faits de toile de lin jaunie par la poussière du chemin. La frange bleue et blanche que les rabbis devaient porter pour obéir à la loi, garnissait le bas de sa robe. Ses
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