Ben-Hur
visites de Ben-Hur n’étaient point seulement un repos pour lui. Balthasar et Iras habitaient son palais, et si le charme de la seconde n’avait rien perdu à ses yeux de sa première fraîcheur, son père, quoique très affaibli physiquement, exerçait toujours sur son esprit une grande influence par ses discours, dans lesquels il ne cessait d’insister, avec une singulière puissance, sur la divinité de Celui dont ils attendaient l’avènement avec tant d’ardeur.
Quant à Simonide et à Esther, ils étaient arrivés d’Antioche depuis peu de jours, après un voyage d’autant plus pénible pour Simonide que sa litière était suspendue entre deux chameaux, qui ne marchaient pas toujours du même pas. Mais l’excellent homme oubliait les fatigues de la route pour ne songer qu’au bonheur de se retrouver dans son pays natal. Il passait avec délice des heures sous le toit du palais, assis dans un fauteuil exactement pareil à celui qu’il avait laissé sur la terrasse de l’entrepôt, d’où l’on dominait le cours de l’Oronte. À l’ombre du pavillon d’été, il se plongeait dans la contemplation des collines familières, au-dessus desquelles le soleil se levait et se couchait, comme aux jours de son enfance. Il se sentait ainsi plus près du ciel, et quand Esther se trouvait auprès de lui, il lui semblait plus facile de faire revivre l’image de cette autre Esther, sa femme, dont le souvenir lui devenait plus cher, à mesure que passaient les années. Cependant il ne négligeait pas ses affaires. Il en avait confié la direction à Samballat, et chaque jour des courriers lui apportaient des nouvelles de ce qui se passait dans ses comptoirs et transmettaient ses ordres à son représentant.
Le soleil donnait en plein sur Esther, qui traversait la terrasse d’un pas léger pour regagner le pavillon ; il éclairait sa taille souple, ses formes gracieuses, se traits réguliers, ses joues sur lesquelles s’épanouissaient les roses de la jeunesse. C’était une femme maintenant, une femme brillante d’intelligence, belle de cette beauté éthérée qui prend sa source dans la bonté du cœur et d’autant plus faite pour être aimée qu’aimer était toute sa vie. Elle regardait attentivement la lettre apportée par le messager ; une vive rougeur se répandit sur son visage quand elle reconnut le cachet de Ben-Hur. Elle hâta le pas afin de la remettre plus tôt à son père. Lui aussi examina le cachet avant de le briser, puis il ouvrit l’étui et lui tendit le rouleau.
– Lis-moi cette lettre, lui dit-il.
Il leva les yeux sur elle et l’expression troublée de sa fille se réfléchit aussitôt sur son propre visage.
– Je vois que tu sais de qui elle est, Esther.
– Oui… c’est… de… notre maître…
Elle parlait d’une voix entrecoupée, mais son regard exprimait une parfaite sincérité.
– Tu l’aimes toujours, Esther, dit-il doucement.
– Oui, répondit-elle.
– As-tu bien songé à ce que tu fais ?
– J’ai essayé de ne penser à lui que comme au maître auquel je dois obéissance, père. Cet effort ne m’a servi de rien.
– Tu es une bonne fille, comme l’était ta mère, murmura-t-il en tombant dans une rêverie dont elle le tira en déroulant la feuille de papyrus.
– Que l’Éternel me pardonne, mais… si grande est la puissance de l’argent que ton amour n’aurait peut-être point été donné en vain, si j’avais gardé la pleine possession de mes biens, comme j’aurais été en droit de le faire.
– C’eût été bien pire pour moi si tu avais agi ainsi, père, car j’aurais été indigne de rencontrer son regard et je ne pourrais plus être fière de toi. Ne te lirai-je pas cette lettre, maintenant ?
– Dans un moment. Laisse-moi auparavant te montrer, mon enfant, la situation telle qu’elle est. Peut-être qu’elle te paraîtra moins dure, si tu la considères avec moi. Il a déjà disposé de son amour, Esther.
– Je le sais, dit-elle d’une voix calme.
– L’Égyptienne l’a pris dans ses filets, continua-t-il. Elle est rusée comme ceux de son peuple et belle aussi, mais elle a encore cela de commun avec toute sa race, qu’elle n’a point de cœur. La fille qui méprise son père sera la honte de son mari.
– Est-elle capable d’une chose pareille ?
– Balthasar est un homme qui a obtenu de merveilleuses faveurs du Très-Haut, quoique Gentil ; sa foi fait sa gloire, – mais
Weitere Kostenlose Bücher