Bombay, Maximum City
Girish trouverait ce qu’il lui faut : le salon de coiffure Tip-Top de Goregaon, où les coiffeuses commencent par vous masser la tête et descendent de plus en plus bas.
Srinivas, son ami habitué des bordels, l’admire pour ses relations, sa connaissance de milieux très divers, mais ne croit pas à ses perspectives d’avenir. Si, contrairement à ses anciens copains de fac, Girish « n’a pas été capable de construire son avenir », c’est parce qu’il est « trop honnête », estime Srinivas. Il a essayé de le convaincre de s’inscrire au Landmark Forum, un organisme qui propose un programme de motivation en petits groupes répartis sur cinq niveaux ; Srinivas en est au quatrième. Cette formation lui apprend à réussir dans la vie. Il se vante d’avoir su « motiver » Girish pour qu’il ne se sente plus aussi triste au retour de Navsari, quand, à Virar, le train entame la traversée des banlieues. Girish est même allé à une journée portes ouvertes du Forum, mais pour finir il ne s’est pas inscrit à la session accélérée sur trois jours à cause du prix : trois mille roupies.
Élevé et nourri par Bombay, Girish pense aujourd’hui qu’il est temps de tourner une page. « Je suis loin de récupérer ce que je me suis bagarré pour investir, constate le programmeur. Des fois je n’ai même pas cent balles devant moi. » Son travail ne contribue pas de façon essentielle au bonheur de l’humanité. « Je suis dans le secteur des services. Personne n’attend après moi pour se débrouiller dans la vie. » Pendant ce temps, la parfumerie dans laquelle travaille Dharmendra commence à souffrir de la crise. Il n’y a pas eu de licenciements mais il n’y a plus d’augmentations et les postes qui se libèrent ne sont pas pourvus. La famille mise désormais tout sur Girish. Le prochain déménagement – à Borivali, où ils ont vu un appartement de quatre-vingt-dix mètres carrés qui leur a tapé dans l’œil – est subordonné à une hausse régulière des revenus familiaux qui place Girish, et l’informatique, en première ligne.
Girish occupe en ce moment la pièce principale de l’appartement où vit son associé à Pedder Road. Travailler dans ce quartier chic lui plaît. « Jamais je n’aurais cru que je finirais par me retrouver à Pedder Road, moi qui étais coincé à Jogeshwari. » Cette adresse prestigieuse est à peu près la seule raison qui a poussé Girish à s’associer avec un type rencontré à la Bourse. « Il ne m’est d’aucune aide pour les affaires. Même consulter les Pages jaunes et donner de coups de fil c’est encore trop pour lui. » L’associé préfère veiller jusqu’à trois heures du matin pour télécharger des films pornos. Oui, mais il appartient au gratin de la société bombayite. « Je me suis mis avec lui dans l’espoir de m’élever. (Les doigts crochetés vers le bas, Girish mime l’action d’un palan qui soulève une charge.) Il va me hisser à son niveau. »
J’ai parlé à Girish d’un de mes amis qui travaille au consulat américain, au service des visas, et ça lui a donné des idées. En se réclamant de moi, il pourrait peut-être obtenir la fameuse carte verte. « Je ne t’ai pas demandé de m’emmener là-bas, tu sais bien. J’ai juste dit que j’aimerais bien y aller, alors j’apprends tous ces langages informatiques. Je battrai le fer quand il sera chaud. » Il s’estimerait heureux si, une fois ses frais couverts là-bas, il pouvait envoyer huit cents euros par mois à son père.
« Avec ça, vous pourriez acheter l’appartement d’à côté à Mira Road.
— On irait à Dariya Mahal. Il faut viser haut. Si un seul d’entre nous part, les six autres vivront à l’aise. » Girish ne pense pas qu’à sa famille. « Si je pars, j’emmènerai un ou deux types avec moi. » Il pense que Srinivas aurait intérêt à quitter le pays, lui aussi ; son père vient de mourir et il a trois sœurs à charge, plus sa mère. Il pense également à un autre ami qui travaille dans la boutique de vêtements de son oncle. « Je tiens à l’emmener. Je sais que c’est un gars bien et lui non plus le boulot ne lui fait pas peur. » Si Girish a un peu d’argent devant lui, il donnera à son copain de quoi se louer une boutique pendant un an. Je trouve ça formidable, ce réseau d’aide invisible, ce garçon qui projette de s’exiler pour envoyer au pays des petites sommes destinées à
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