Bombay, Maximum City
ou pas. En tout cas, le foot je ne savais même pas ce que c’était. Je jouais avec une balle en mousse. Une balle rouge », précise-t-il en faisant mine de la tenir dans le creux de sa main. Elle était toute petite.
Dharmendra passe chez moi pour m’inviter à son mariage qui sera célébré au village. Étourdiment je lui conseille de bien profiter du temps des fiançailles, de se promener en ville avec sa fiancée. Il me regarde, l’air sidéré.
« Je ne la connais même pas ! »
En fait, il ne l’a pas revue depuis qu’il est allé chez elle avec ses parents, et de toute façon ils n’ont pas échangé un mot, ce jour-là. Elle s’appelle Mayuri. Il a chargé Raju de lui parler. Dharmendra ne reverra celle qu’il va épouser que lorsque la jeune femme, relevant sa tête couverte du sari rouge, l’acceptera officiellement pour swami. Ils doivent se marier un mois après s’être vus pour la première et unique fois.
« Elle est belle ?
— Moyen.
— Qu’est-ce qui t’a plu, chez elle, par rapport à toutes les autres ?
— C’est surtout que ça tombe bien », répond Dharmendra en haussant les épaules. Il en a vu cinq ou six autres, avant, mais ça lui paraissait prématuré. À présent, la famille est installée à Mira Road, il a largement la trentaine et après lui il y a encore trois frères à caser et surtout une sœur. Il serait grand temps que Raju se marie, mais pour cela elle doit attendre que l’aîné de la fratrie en ait fait autant. Mayuri s’est donc présentée au bon moment, et sans l’avoir vraiment regardée, sans avoir parlé avec elle, Dharmendra a accepté de la prendre pour femme.
« Qu’est-ce qui te dit que vous allez bien vous entendre, tous les deux ? Que vous ne vous chamaillerez pas ?
— On s’arrangera. Il faudra bien ; elle aussi il va falloir qu’elle s’y fasse. »
Ce n’est pas exactement comme s’il disait, Je m’y ferai. Sa famille au grand complet va devoir s’y faire. À l’instar de la grande majorité des habitants de Bombay, Dharmendra vit à l’abri du « on » protecteur et tyrannique à la fois. Il y a cependant des chances pour que Mayuri « se fasse » assez facilement à sa nouvelle situation. Les Thakkar, en effet, sont contre la dot. L’usage veut que la famille de la jeune fille offre au promis un costume et une alliance. Les parents de Mayuri ont demandé à Dharmendra de choisir le tissu d’un costume sur mesure. Conscient qu’il leur en coûterait plus de six mille roupies, Dharmendra s’est rabattu sur un blazer, ce qui réduit considérablement la dépense.
Toute la journée Padga Gam va résonner des chants de mariage entonnés par les femmes. Des haut-parleurs répandent à travers le village leurs voix atonales, monocordes. Installé dans la maison de campagne des Thakkar, je discute avec un grand homme jaune. Les femmes de la famille et les épouses des invités se sont déchaînées contre ce pauvre Dharmendra dont les cheveux, les cuisses, le torse, toutes les parties du corps qu’il est possible de toucher en public sont tartinées de pâte au tamarin du plus beau jaune. Quand on se marie au village, m’explique Dharmendra, il faut choisir une des trois dates du « tiercé gagnant ». Demain soir, quand le soleil se couchera, il n’y aura plus de jour propice avant Diwali, d’ici à cinq mois, ce qui explique aussi la hâte de ces épousailles. Le mariage de Dharmendra ayant été conclu en premier, il a pris d’office une des trois bonnes dates. Les autres n’ont pas pu en faire autant.
« Pourquoi ? Ce sont des parents à toi ?
— Non, mais on est du même village. » Or, la cuisine, la préparation des lits laissés à la disposition des invités, tout cela ce sont les villageois qui s’en chargent À Padga Gam, les mariages ne se célèbrent ni dans l’intimité ni en famille : le village entier participe. La plupart des habitants de Padga Gam assistent à celui de Dharmendra, comme cela s’est fait pour les noces d’avant et comme cela se fera pour celles qui suivront. Les voisins ont ouvert leurs maisons pour accueillir les hôtes des Thakkar. Ceux qui n’habitent pas sur place sont revenus exprès de Bombay, pour être de la fête et vérifier au passage que les gens logés chez les voisins sont confortablement installés. Le chef du village a fait le voyage depuis la Nouvelle-Zélande. Ce sens de la communauté si fort chez les Thakkar et les
Weitere Kostenlose Bücher