Bombay, Maximum City
résiste pas aux conditions de vie dans le slum.
Toujours célibataire à vingt-cinq ans, Raju est presque une vieille fille au regard des critères de son milieu social. Les Thakkar jugeaient préférable de s’installer ici avant de lui chercher un fiancé et de trouver une épouse pour Dharmendra, qui vient d’avoir trente ans. Qui voudrait se marier dans un slum ? Ni Girish ni Paresh n’ont envie d’aller voir ce que devient la cabane de Jogeshwari. Il y a eu trois effractions depuis le déménagement mais cela ne semble pas préoccuper la famille outre mesure. Seule Raju va là-bas tous les jours pour ses cours de soutien scolaire ; les parents non plus n’ont pas envie d’y retourner. Propriétaire d’un appartement sis au troisième étage et chef de rayon dans une parfumerie, Dharmendra n’a que mépris pour le lieu où il est né et où il a grandi : « Jogeshwari, c’était un chawl, et encore.
— Qui sont les gens qui viennent s’installer ici ? Des Gujeratis, des Marathes, des musulmans ?
— C’est cosmopolite. »
Les nouveaux promus sur l’échelle sociale forment une corporation à part entière. Si les réseaux recréés à Mira Road ne sont pas aussi soudés qu’à Jogeshwari, ils sont sans conteste plus présents qu’à Nepean Sea Road. Le soir, quand Girish rentre à la maison vers dix heures, il ne manque jamais de passer chez un voisin qui vit dans l’immeuble d’à côté pour jouer avec sa petite fille de deux ans. Il reste là une bonne demi-heure, histoire de se détendre avant d’aller dormir. Le dimanche, il va à Naigaon avec le voisin du dessus acheter la sève fermentée et les fruits du toddy {203} . Il revient ensuite chez le voisin pour boire un litre et demi de vin de palme et manger deux douzaines de tadgolas {204} , une purge qu’il me recommande : « La sève du toddy te lave tout l’intérieur et après ça tu te vides les intestins vraiment bien. Tout sort sans problème. »
La vue des amoureux qui se promènent sur Marina Drive rend Girish mélancolique. « Un jour, promet-il, moi aussi je viendrai ici. Et pas seul. » Girish et ses frères passaient pour des enfants modèles, dans le slum de Jogeshwari. Les parents les citaient en exemple à leurs enfants en leur demandant pourquoi ils n’étaient pas aussi sages que ces petits Gujeratis.
Girish n’a jamais eu de petite amie. À sa décharge, il avance que dès sa première année de fac (à l’âge auquel la progéniture des classes moyennes indiennes découvre traditionnellement l’autre sexe), il a dû travailler pour payer ses études. Dès la fin des cours, à treize heures trente, il filait chez ses élèves et n’arrêtait qu’à neuf heures du soir. « Je n’avais pas le temps de courir après les nanas. » Nouer une relation avec une fille, cela implique selon lui de se pointer dix jours de suite en même temps qu’elle à l’arrêt de bus. « Il faut être aux petits soins, c’est ça le plus important. » Il y en avait bien une qui lui plaisait ; il l’a invitée à prendre un café mais elle a refusé. « Je lui ai dit, Va te faire voir ! Tu crois qu’on a le temps de te courir après ? J’ai pas de temps à perdre, moi. Désolé. »
Il a par ailleurs correspondu via l’Internet avec une jeune Gujeratie qui vivait au Japon. « Avec elle je tchatchais autrement. J’essayais de toucher son cœur. Qu’est-ce que tu penses de la vie, sous l’angle philosophique et tout ? Elle a fini par rentrer en Inde. Son père lui avait acheté un appart à Walkeshwar. Une fois revenue à Bombay elle ne m’a plus recontacté. » Il ne semble pas le regretter, ou alors il cache bien son jeu. Après tout, cette fille qui fait maintenant partie des snobs de Walkeshwar est plus inaccessible pour lui que lorsqu’elle vivait au Japon.
Comme tous les amis de Girish, Kamal, le trésorier mafieux, trouve préoccupante cette virginité prolongée : « Il a besoin d’une vidange complète, et à mon avis c’est urgent. » Aussi lui prodigue-t-il des conseils pressants : « Le sexe est connecté au cerveau ; quand on se relaxe on pense mieux. C’est pour ça que tu es si confus dans ta tête. Il faut que tu baises. Tu n’arrêtes pas de nous bassiner avec tes contacts mais tu n’es pas foutu de les utiliser. Les autres n’ont pas confiance en toi parce que tu ne sais pas où tu en es. Paye-toi une poule, ça te détendra. » Il lui indique une adresse où
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