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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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monter un commerce, payer des études ou des mariages. Girish ne rêve pas de s’acheter une Mercedes ou un costume Armani ; il rêve de donner leur chance à des gens comme lui.
    Quelle image a-t-il de l’Amérique ?
    « Il y a au moins une chose dont je suis sûr : là-bas, si tu te défonces autant qu’ici ça te rapporte deux cents fois plus. »
    Et l’argent mis à part ?
    Il me rappelle un accident dont nous avons tous deux été témoins, une vendeuse de ballons renversée par un rickshaw à moteur. L’air au plus mal, la femme se tenait la tête à deux mains. Les ballons gaiement colorés qui l’instant d’avant se balançaient au bout de leurs ficelles gisaient lamentablement sur le trottoir. J’étais prêt à intervenir quand Girish m’a stoppé net : « Attends, tu vas voir. Elle va se relever et lui demander du fric. » Sur ce, la pluie s’est mise à tomber à verse et la blessée, se relevant d’un bond, a couru s’abriter sous un auvent. Une autre vendeuse de ballons s’est alors approchée du conducteur de rickshaw et l’a insulté en exigeant de l’argent pour sa collègue.
    « Tu vois le pouvoir de cette vendeuse de ballons ? poursuit Girish. Elle provoque l’accident et elle dit qu’elle est victime. En Amérique ça ne se passerait pas comme ça. Tu as bien vu la bonne femme foncer sur le rickshaw et demander de l’argent. Là-bas, on analyserait les faits pour savoir qui est responsable. La bonne femme ne peut pas simplement te rentrer dedans et dire tu payes ou je bloque ton rickshaw. » Un point de vue de classe intéressant : Girish qui est tout sauf riche estime que les gens plus pauvres que lui ont beaucoup plus de pouvoir. Comment au juste considère-t-il les très pauvres ?
    « Je ne les aime pas, je les hais », déclare-t-il tout net. Il ne fait pas de doute pour lui que les mendiants de Bombay boivent l’argent qu’on leur donne ou s’en servent pour satisfaire leurs vices. Beaucoup d’entre eux gagnent plus que les fonctionnaires du gouvernement, et ce n’est pas un secret. Girish qui ne rechigne pas à aider un ami dans le besoin ne donnera pas une paise à un mendiant. Ils lui répugnent. « Ils te touchent les pieds ! Des gamins hauts comme ça t’attrapent les pieds et posent leurs fronts dessus ! » Cette véhémence que je ne lui connaissais pas tient sans doute à une trop grande proximité. Les pauvres entretiennent avec les très pauvres des rapports éminemment complexes. Pour s’en distinguer, ils doivent les tenir à distance en luttant contre la compassion naturelle qu’ils inspirent. Une attitude ambivalente, qui oscille entre « Dieu merci je ne suis pas tombé si bas » et « Je n’ai rien de commun avec ces gens-là ».
    Est-ce qu’il retournerait vivre à Jogeshwari ?
    « Pourquoi veux-tu me réexpédier à Jogeshwari ? J’ai plus d’ambition que ça. Après Mira Road je veux aller à Vile Parle, de Vile Parle j’irai à Bandra et de Bandra à Pedder Road. » La mobilité sociale vue par un usager du chemin de fer qui sait où descendre de l’omnibus pour prendre l’express jusqu’à son point de destination : les quartiers Sud de Bombay. Il voudrait atteindre Vile Parle d’ici trois à quatre ans, mais pour arriver dans cette banlieue bourgeoise il doit impérativement monter dans le rapide pour l’Amérique. « Si je reste à Bombay je n’irai jamais à Vile Parle. Les vingt lakhs qu’il me faut, je mettrai vingt ans à les gagner à Bombay. Je peux toujours dépenser quatre mille par mois si ça me chante mais je ne peux pas m’acheter dix mètres carrés dans Bombay. Je ne peux pas. »
    Un changement aussi conséquent – de Mira Road aux quartiers Sud – ne serait à son avis tout simplement pas possible dans une ville de la taille de Navsari, d’où sa famille est originaire. « Pour une bonne raison : là-bas la population est très réduite. Tout le monde sait d’où tu viens. À Bombay, si je ne te l’avais pas dit tu n’aurais jamais su que j’ai vécu dans les slums. Mon associé ne sait pas que j’ai vécu dans les slums. Je lui ai simplement dit que j’habitais dans un immeuble type chawl. »
    N’a-t-il pas au moins eu une enfance heureuse dans son « chawl » de Jogeshwari ? Question que je lui pose car pour ma part je n’ai pas que des bons souvenirs de mon enfance à Bombay.
    « C’est loin tout ça maintenant, alors je ne peux pas te dire si j’étais heureux

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