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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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depuis qu’il a entamé son récit il est au bord des larmes. « J’aime mon papa. J’ai pris son tricot de peau. En souvenir. Depuis que je suis tout petit, papa est un père et une mère pour moi. » Sa voix se brise. Il baisse la tête et fourre à la hâte le vêtement dans le sac.
    Il prit le train pour Lucknow, dans le Nord. Le matin, quand il s’éveilla à l’arrivée à Lucknow, il regarda son poignet : la montre que son père lui avait donnée en récompense d’une place de premier avait disparu. Il descendit sur le quai et réfléchit à la prochaine étape. Deux trains allaient bientôt partir, l’un en direction de Delhi, l’autre vers Bombay. Le premier, moins qu’à moitié plein, n’attirait apparemment que des politiques, des journalistes. En revanche toute une masse de gens attendaient de pouvoir embarquer à bord du train de Bombay. Des policiers contenaient la foule. Se mêlant à elle, Babbanji remarqua qu’elle était composée d’individus très divers : des riches, des pauvres, des voyageurs qui avaient réservé leurs places, d’autres qui avaient l’air de fugitifs comme lui. Il n’avait jamais été ni à Delhi ni à Bombay, mais il avait de la famille dans la première de ces villes. Il savait par ailleurs que Delhi était moins encombrée que Bombay, que la vie quotidienne y était moins difficile pour les pauvres. Babbanji ne connaissait pas le Bombay du cinéma hindi ; il savait seulement par son père que l’institut de recherche fondamentale Tata et le Centre de recherche atomique Bhabha se trouvaient dans la grande ville lointaine.
    Toutes ces pensées se bousculaient dans sa tête pendant qu’il hésitait entre les deux destinations sur un quai de gare de Lucknow. D’un côté, le train pour Delhi, presque vide, le conduirait rapidement dans une ville où il avait des oncles prêts à l’héberger, où au pire il trouverait assez de place pour dormir sur les vastes trottoirs. De l’autre côté, le train pour Bombay dans lequel la foule allait bientôt s’entasser l’emmènerait beaucoup plus loin, dans une ville soumise à des tensions et des contraintes inimaginables et où il ne connaissait pas âme qui vive. « Je me disais, pourquoi tous ces gens vont-ils à Bombay ? Qu’est-ce qu’il y a à Bombay pour que de toutes parts monte ce cri, “Bombay ! Bombay !” » Sur ce quai où il attendait entre les deux trains, le jeune homme prit sa décision. Tous ces gens qui partaient pour Bombay n’y allaient pas sans raison. Ils savaient sûrement quelque chose qu’il ignorait. Babbanji se résolut à forcer la main du destin, à prendre sa place dans la multitude qui allait embarquer dans le train pour Bombay.
    Le voyage dura deux jours. Il en passa un tout entier debout et le reste à défendre son petit bout de plancher dans le compartiment sans réservations. Aux arrêts, les policiers évacuaient les gens qui voyageaient sur les bogies découverts et en laissaient monter d’autres qui leur avaient graissé la patte. Ces conditions de voyage très inconfortables étaient largement compensées, aux yeux du jeune poète, par la possibilité exaltante d’observer les masses de près. « Ce fut une grande expérience, pour moi, de voir en direct comment on arrive à Bombay. Il y avait une centaine de places assises pour deux mille personnes environ. Tous des gens pauvres, paysans, ouvriers ; on les poussait comme du bétail pour qu’ils tiennent, on les mettait les uns sur les autres. »
    L’express Lucknow-Bombay arriva enfin en gare de Victoria Terminus et Babbanji posa le pied sur le quai. « J’ai touché le sol et j’ai fait mon pranaam {206} , dit-il en mimant le geste, une main levée vers le front. J’ai reçu la bénédiction de cette terre. Intérieurement je pensais, c’est mon karmabhoomi », la terre de son destin.
    Des agents lui demandèrent son billet, et comme il était bien incapable de le leur présenter ils le conduisirent dans une pièce où il apprit le montant de l’amende : trois cents roupies ou quinze jours de prison. Babbanji n’avait que cent trente roupies sur lui. Ils lui fouillèrent les poches et le laissèrent repartir après l’avoir soulagé de cent roupies. Quittant Victoria Terminus, il prit un train local qui l’emmena jusqu’à Bandra où il traîna un moment du côté de Carter Road, près de la mer. Il lui restait vingt-deux roupies – son billet pour Bandra lui en avait coûté huit. La

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