Bombay, Maximum City
étincelantes. La pub de l’Ambassador n’insiste pas vraiment sur les mérites de l’espace intérieur. Elle ne vante pas la capacité du volume disponible, comme c’est le cas pour les monospaces. Elle dit simplement que les gens susceptibles d’acheter une Ambassador se débrouilleront toujours pour faire de la place aux autres. Elle plaide vraiment pour la réduction de l’espace physique individuel et l’expansion de l’espace collectif. Les habitants d’une ville aussi populeuse que Bombay n’ont pas le choix ; ils doivent trouver des arrangements.
Le rapide pour Virar dans lequel je suis monté à l’heure de pointe est sans doute le plus bondé des trains locaux. Cramponné à deux mains à la barre qui surmonte la porte grande ouverte, je ne peux me reposer que sur la partie avant de mes pieds ; le reste de mon corps, une bonne partie en tout cas, déborde du train lancé à pleine vitesse. À la première bousculade je risque d’être éjecté par la pression des passagers massés dans le wagon, mais on me rassure : « Ne t’en fais pas. Si tu tombes on te rattrapera. »
Une voix proteste. « On est parqués comme du bétail. »
Girish m’a dessiné sur un bout de papier un schéma de la danse, de la chorégraphie des trains de banlieue. De Borivali à Churchgate, le contingent de passagers pour la Gare centrale se tient au milieu du compartiment La spirale qui se forme autour se déplace dans le sens des aiguilles d’une montre en plusieurs temps : à Jogeshwari d’abord, puis à Bandra, puis à Dadar. Le novice qui ne sait pas comment fonctionnent les trains de Bombay et qui a prévu de descendre à Dadar, mettons, doit répéter à voix haute : « Dadar ? Dadar ? », et se laisser diriger jusqu’à l’endroit précis où il pourra descendre dans les meilleures conditions. Le quai n’est pas toujours du même côté et il n’y a pas de portières, rien que deux ouvertures béantes de part et d’autre du compartiment À l’approche de la gare il faut être en place pour sauter d’un bond dehors avant que le train se soit immobilisé, car si on attend qu’il s’immobilise on est refoulé à l’intérieur par ceux qui le prennent d’assaut. Le matin, quand le train stoppe à Borivali, la première station, c’est la foire d’empoigne. « Pour avoir une place assise ? » Girish me regarde comme si j’étais débile. « Non. Pour monter » : à cause de la correspondance avec le train de Dadar, qui deux arrêts plus haut à Malad, a chargé une multitude de gens en route pour le centre de Bombay.
Il ne sert pas à grand-chose de voyager en première, à peine moins bondée aux heures de pointe. Dharmendra, le frère de Girish, a un coupon de transport en première, mais quand vraiment il y a du monde il préfère voyager en seconde. « En seconde, explique-t-il, les gens sont plus souples. En première il y a forcément des bourges de Nepean Sea Road. Ils ne bougent pas. Ils restent plantés là où ils sont. »
Je cite à Girish une statistique selon laquelle, « aux périodes de plus grande affluence », les trains transporteraient douze personnes au mètre carré. Il estime au jugé la longueur de son bras, un mètre, et fait un rapide calcul : « C’est plus. À l’heure de pointe, si je reste comme ça le bras collé le long du corps ce n’est pas la peine que j’essaye de le lever. » Dans ces conditions, les mouvements sont pour l’essentiel réflexes. On se laisse transporter, et pour peu qu’on soit léger on n’a même pas besoin de bouger les jambes. Les chiffres donnés par le gouvernement précisent qu’en 1990 un train de neuf voitures chargeait en moyenne trois mille quatre cent huit passagers aux heures de pointe ; en dix ans ce chiffre est passé à quatre mille cinq cents. Une lettre de G.D. Patwardhan publiée dans le Times s’en indigne :
C’est se moquer de nos lois qui fixent le nombre précis d’animaux – vaches, buffles, chèvres, ânes et ainsi de suite – que l’on peut transporter dans un wagon aux dimensions spécifiées. Toute infraction à ces règles est un délit passible des mesures disciplinaires prévues par les Chemins de fer et réprimé également par les lois sanctionnant les mauvais traitements envers les animaux. Aucun règlement ou texte législatif de ce genre ne régit en revanche le transport des êtres humains.
Les gens à qui je demande comment ils supportent de voyager dans
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