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Bombay, Maximum City

Titel: Bombay, Maximum City Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Suketu Mehta
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de telles conditions haussent les épaules. On s’y habitue, répondent-ils. On s’y fait.
    Les banlieusards se déplacent en groupe. Girish prend le train avec une quinzaine de passagers montés avant lui dans des gares plus loin sur la ligne. Ils lui font une place sur leurs genoux et ensemble ils partagent un petit déjeuner à la fortune du pot. Chacun a apporté sa contribution maison (batatapauua {209} des Gujeratis, upma {210} des Telugus, alu-poori {211} des bhaiyyas), qu’il déballe dans le compartiment bondé. L’heure de trajet file agréablement ; ils se racontent des blagues, jouent aux cartes, chantent et parfois même jouent des castagnettes avec leurs doigts. Girish sait dans quelle voiture de quel train se trouvent les meilleurs chanteurs. Dans la dix-huit, par exemple, il y a un groupe très fort en chants nationalistes et anti-musulmans. D’autres sont plus spécialisés dans les bhajans ou dans les mélopées avec antiennes et répons. De la sorte, le voyage devient supportable pour ceux qui ont une place assise, et divertissant pour ceux qui doivent rester debout. Quand Girish travaillait pour Kamal, quasi en bas de chez lui, à Mira Road, une fois par semaine il prenait quand même le train jusqu’à la Gare centrale de Bombay, juste pour le plaisir de partager un petit déjeuner avec son groupe de passagers.
    Les trains sont des ruches bourdonnantes d’activité. Des femmes vendent des sous-vêtements dans le compartiment pour dames, de gigantesques culottes montant haut sur le ventre, qui passent de main en main pour être inspectées et occasionnent, lorsqu’elles trouvent preneuse, une circulation d’argent en sens inverse. Des ménagères pèlent et hachent les légumes du dîner familial qu’elles mettront à cuire sitôt rentrées à la maison. Les affichettes publicitaires qui égaient les compartiments sont de la même veine que celles qu’on voit dans le métro de New York : elles traitent de problèmes personnels aussi peu avouables que les hémorroïdes, l’impuissance, l’odeur de pieds. Le passager fondu dans la masse anonyme les déchiffre sans crainte, réconforté par l’idée que ces maux universels affligent indistinctement les corps qui se pressent alentour. Eux aussi ont besoin de pilules, de potions, d’interventions mineures.
     
    La ligne Ouest se termine en beauté, la ligne Est dans l’horreur. Après la station de Chami Road d’où l’on aperçoit la mer, après les gymkhanas musulmans, catholiques, hindous, parsis dont les baraques s’éloignent enfin, vu du train de Churchgate c’est un autre Bombay qui apparaît, une ville plus ancienne, magnifique. Brusquement le ciel bleu et les eaux claires de Marine Drive emplissent le champ de vision et tout le monde se tourne vers la baie et recommence à respirer.
    Près de son terme la ligne Est, ou ligne du Port, traverse carrément les chambres à coucher des pauvres : les taudis qui s’étalent à perte de vue commencent à moins d’un mètre des voies. S’ils tombent du lit leurs occupants risquent de se retrouver sur les rails. Les petits enfants se promènent entre les traverses. Chaque année, plus d’un millier d’habitants des slums meurent écrasés par les trains. D’autres, passagers de ces trains qu’ils empruntent en s’y agrippant de l’extérieur, meurent tués par les poteaux électriques plantés trop près des voies. Un seul de ces poteaux malencontreusement placé à l’abord d’un virage tue quelque dix voyageurs par mois. Un ami de Girish qui voyageait cramponné à une fenêtre du 9 h 05 de Jogeshwari n’a pas résisté au poteau dont il s’approchait trop vite, trop près ; il en est mort. L’année précédente, un autre membre du groupe qui tentait le diable en voyageant sur le toit d’un wagon a heurté l’arche d’un pont et il a survécu. Le fanfaron s’en est sorti alors que le petit gars timide qui s’accrochait à la fenêtre y est resté ; cinq minutes avant Girish lui avait offert une place à l’intérieur.
    Paresh Nathvani, un marchand de cerfs-volants de Kandivili, assure un service singulier : il fournit des linceuls gratuits aux victimes des accidents de train. Il y a de cela une dizaine d’années, le marchand de cerfs-volants a vu un homme mourir écrasé sous un train à Grant Road. Les ouvriers du chemin de fer ont simplement déchiré un calicot publicitaire pour en recouvrir le corps. Nathvani rappelle que « toutes les religions

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