Bombay, Maximum City
boutiques qui vendent des cartes de la Saint-Valentin, font des irruptions fracassantes dans les restaurants qui pour l’occasion proposent des menus spéciaux. La presse de pays aussi lointains que la Turquie, l’Afrique du Sud, l’Australie fait la part belle à ses imprécations.
Pourtant, l’âge a assoupli le vieux fasciste fatigué. Chacune de ses déclarations incendiaires est désormais ponctuée d’un rire aimable qui dissipe la « menace » du discours. À le voir plaisanter à propos des gens du cinéma en tirant sur son cigare, on lui trouverait presque un air débonnaire. J’ai un peu de mal à relier l’homme assis en face de moi à la furie meurtrière qu’il déchaînait chez des gens comme Sunil il y a encore quelques années, mais bon ; il a soixante-treize ans, en effet. « Je peux contrôler le gouvernement à distance, mais pas mon âge », dit-il avec un clin d’œil.
Il suffit cependant qu’il revienne à ses cibles de prédilection pour que sa véhémence resurgisse, intacte : « Les musulmans du Bangladesh qui viennent ici. À se demander qui est leur parrain ou leur bonne fée, dans l’Hindoustan ! » Il me parle d’un attentat à la bombe qui s’est produit il y a peu de temps à Delhi et a fait une quinzaine de blessés ; le terroriste serait un musulman, la police l’a arrêté, et quand la nouvelle de cette interpellation s’est répandue dans le quartier musulman les haut-parleurs de la mosquée ont lancé l’ordre d’attaquer : une foule forte de quelque cinq cents hommes, selon Thackeray, a envahi le poste de police et libéré le poseur de bombe. « Et il faudrait tolérer cette gabegie ? tonne le Saheb. C’est qui, ces gens ? De quel droit ils sont ici ? Qu’ils rentrent dans leur Bangladesh. Tout ça est très triste, très mauvais. »
Est-ce que ce genre d’incident pourrait arriver à Mumbai ?
« Maintenant que c’est du ressort du Shiv Sena, on les tient en échec », répond-il en se rengorgeant. Et il me rappelle que depuis que le Sena est aux commandes il n’y a pas eu un seul affrontement entre les communautés hindoue et musulmane.
Qu’est-ce qui a provoqué, selon lui, les émeutes qu’a connues Bombay en quatre-vingt-douze et quatre-vingt-treize ?
« Le Babri Masjid, avance-t-il aussitôt. Même si pas un musulman de Bombay ne sait où est Lucknow, où est le Babri Masjid. » Lui non plus, manifestement ; le Babri Masjid se trouve à Ayodhya, à des centaines de kilomètres de Lucknow. Cette mosquée, poursuit-il, était désaffectée, mais elle recouvrait un Ram Mandir où, dans le temps, les hindous venaient offrir des prières. Elle a été abattue et les musulmans sont descendus dans la rue. « Ensuite, pour sauver votre sale tête de laïc vous allez prétendre que ce n’étaient pas des musulmans d’ici, qu’ils venaient tous du Bihar, de l’Uttar Pradesh, mais comment ont-ils eu l’audace de venir ici, d’abord ? De donner des idées à ceux d’ici, de les inciter à l’action ? C’est des pousse-au-crime, forcément. Le Shiv Sena a agi en représailles. Si mes hommes ne s’étaient pas mobilisés, sûr que les hindous se seraient fait écharper. »
Ces représailles, explique-t-il, ont été menées « avec tout ce qui nous tombait sous la main. Des cailloux – oui, des cailloux, ou des tubes néon, des barres de fer. Ils avaient quelques munitions, des armes à feu, mais de toute façon… les hindous auraient été massacrés. Allez interroger n’importe quelle communauté, les Gujeratis par exemple, ou ceux-ci ou ceux-là, et ils vous répondront tous : Oui, Balasaheb nous a sauvé la vie. »
Mon oncle, en effet, ne m’a pas dit autre chose.
« C’est pour cela qu’ils vous ont élu ?
— Non. Une fois que vous avez la vie sauve, vous avez la vie sauve. Après, allez au diable si ça vous chante. Nous, on ne marchande pas, on n’attend rien d’eux. Notre devoir c’est de sauver la vie des gens, un point c’est tout. »
Les partisans du Shiv Sena ont fait le sale boulot que les Gujeratis dont je suis étaient trop timorés pour mener à bien. Ils ont rejoué une fois de plus les batailles de Pânipat contre les Afghans. Après nous avoir pris Bombay à la faveur du mouvement Samyukta Maharashtra (à l’époque où ils arpentaient les rues pour taper sur les Gujeratis en braillant : Khem chhe ? Saru chhe ! Danda leke maru chhe !), ils nous ont magnanimement défendus
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