Bombay, Maximum City
Voilà une explication inédite à l’afflux des immigrants à Bombay : le crime paye, dans cette ville. C’est en partie vrai. Thackeray attire mon attention sur la nette infériorité numérique des forces de l’ordre, par rapport à la multitude des délinquants. « Cette menace, dit-il en traînant sur la dernière syllabe, ne cesse d’augmenter. La menace incarnée par les mal-logés. Tu joues à cache-cache avec les flics, et tu gagnes. Mettons que tu fasses un mauvais coup, un meurtre, par exemple, même un meurtre : tu peux liquider quelqu’un et t’en aller comme ça, tranquillement, pour aller te planquer dans le zopadpatti {80} . » Pendant les émeutes, c’est effectivement ce que faisaient ses nervis, Sunil et les autres : ils tuaient et ils allaient se planquer dans le zopadpatti – le slum inextricable.
Il a un plan pour sauver Bombay. « Il faut contrôler l’immigration. Chasser les musulmans du Bangladesh, en débarrasser non seulement Bombay mais le pays tout entier : ils n’ont qu’à retourner d’où ils viennent. Il faut identifier les gredins, ceux qui sèment la zizanie pour le bénéfice de l’ISI {81} et les pendre. Pas les renvoyer, ceux-là, les pendre. C’est ce que je préconise, et je suis sérieux. » Il évoque avec admiration les mesures très strictes appliquées aux États-Unis à la délivrance des visas, qu’il oppose au « permis d’immigrer » si facile à obtenir pour venir en Inde. Il trouve qu’il faudrait un visa pour entrer dans Bombay. Les riches habitants de Malabar Hill ne l’approuvent pas sur toute la ligne mais beaucoup sont d’accord avec lui sur ce point.
« Inde » est un nom qu’il abomine ; on le doit, selon lui « au pandit Jawaharlal Nehru et à son amour inconditionnel des musulmans, après la Partition. On a décrété que le pays s’appelait l’Inde et on a fait de nous des Indiens. J’ai horreur de ça. » À l’en croire, le nom originel de ce pays, son vrai nom, donc, c’est Hindoustan. « Ça vient de l’Indus. Du Sind. Du Sind et de l’Indus qui dans l’Antiquité s’appelait Sindhu. » Du Sind, donc, qui est aujourd’hui une province du Pakistan.
Il prétend qu’il existe dans la Constitution un article qui fait de nous tous des Hindoustanis. « Le 19-a. À mourir de rire, ils n’ont profité que de la première ligne, et les autres, alors, b, c, d, e, f, g ? Là aussi il est clairement précisé que les gens peuvent toujours émigrer d’un État à l’autre mais à une condition qu’ils doivent bien se mettre dans le crâne : ne pas troubler la paix des gens du coin. Pourquoi ne pas retenir ça, hein ? Pourquoi ne citer que les premiers articles et pas les autres ? »
Peut-être parce que la Constitution ne contient pas l’article dont il parle. Il est possible qu’il fasse allusion aux articles 19-d et e, qui reconnaissent à tous les Indiens le droit de se déplacer librement et de résider où ils veulent sur le territoire national ; l’article 19-a, lui, garantit aux citoyens la liberté de parole et d’expression, une notion sans doute assez peu familière à Thackeray. En fait, il s’est inventé une constitution sur mesure. On imagine mal un de ses hommes prendre la peine d’aller consulter le document authentique pour vérifier la véracité de ce qu’il assène avec aplomb. La Constitution indienne est la plus longue du monde, et probablement la moins lue. Les gens en font ce qu’ils veulent.
Les intrus cesseraient de venir s’entasser dans Bombay s’ils étaient mieux traités dans les États indiens d’où ils viennent. « Qu’est-ce qu’il fait là, leur chef de gouvernement, avec un gyrophare sur sa bagnole, une villa et toutes ces notes de frais ? C’est son boulot de s’occuper d’eux. » Si Bombay est un vaste foutoir, la faute, une fois de plus, en incombe à la classe politique. « Il n’y a pas que Bombay à être cosmopolite, toutes les villes sont dans le même cas. Bangalore est cosmopolite. Calcutta est cosmopolite. Or, il y a des limites à cause des infrastructures. Avec les pluies, on ne sait pas ce qui va se passer. Les pluies, ça va, ça vient. C’est comme dans la comptine, vous savez : “Va-t’en, la pluie, va-t’en. Reviens quand il sera temps” – et tout est comme ça. »
Je commence à soupçonner que je ne saisis pas bien le bonhomme et, changeant de sujet, je l’interroge sur son charisme. À quoi
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