Bonaparte
ne diraient-ils pas en trouvant une femme à mon bord ?
Le 18 août, il quitte Le Caire et, à Boulak, une embarcation va l’emmener, par le Nil, jusqu’à Menouf. Le lendemain, avant de monter à cheval, il pousse la comédie jusqu’à écrire à Kléber qui se trouve à Damiette : « Vous recevrez une lettre le 3 ou le 4 fructidor soit le 20 ou le 21 août), partez, je vous prie, sur-le-champ, pour vous rendre, de votre personne, à Rosette... J’ai à conférer avec vous sur des affaires extrêmement importantes... »
Le 21 août, le fugitif fait semblant de se diriger vers Alexandrie mais, en réalité, prend la route de El-Rahmanyeh. « En chemin faisant, raconte Roustam dans sa langue colorée, nous avons rencontré une grande quantité d’Arabes qui barraient notre passage. J’ai demandé la permission au général pour charger sur les Arabes avec les guides qui étaient l’escorte du général. Il me dit :
— Oui, va et prends garde que les Arabes te prennent, car on ne te ménagera pas !
« J’avais un bien bon cheval, je craignais rien et j’étais bien armé : j’avais deux paires de pistolets, un sabre, un tromblon, et un casse-tête sur ma selle. Après la charge, le général a demandé à M. Barbanègre, qui commandait la charge, si je m’étais bien comporté. Il lui dit :
— Oui, c’est un brave soldat, il a blessé deux Arabes.
« Après ça, le général, il me fait donner un poignard d’honneur le même jour, qui m’a fait le plus grand plaisir. Depuis cette époque-là, il m’a jamais quitté. Nous sommes couchés, ce jour-là, dans le désert, sur le sable. »
Le 20 août, arrivé à trois lieues d’El-Rahmanyeh, Bonaparte ordonne au général Menou de quitter Rosette « une demi-heure après la réception du présent ordre » pour se rendre à la fontaine – là même où se trouvait le quartier général le jour de la bataille d’Aboukir. Le 21, Menou est fidèle au rendez-vous – et le dialogue s’engage :
— Où allez-vous, général ? demande-t-il à Bonaparte.
— En France.
— Y songez-vous ! Songez-vous que vous nous êtes nécessaire ?
— Je le serai davantage là-bas. J’arriverai à Paris, je chasserai ce tas d’avocats qui se moquent de nous et qui sont incapables de gouverner la République ; je me mettrai à la tête du gouvernement, je rallierai tous les partis, je rétablirai la République italienne et je consoliderai notre magnifique colonie.
Le 22 août, après avoir passé la nuit au puits de Ber-el-Gitas, Bonaparte et ses compagnons s’arrêtent non loin d’Alexandrie, sur la plage devant laquelle ont mouillé les deux frégates. Ganteaume, craignant que la voile anglaise, aperçue le matin voguant vers l’est, ne revienne sur sa route, demande que l’embarquement se fasse uniquement de nuit. Seuls quelques officiers, les domestiques et le détachement de guides montent à bord. En attendant, Abounaparte écrit au Diwan du Caire et, pour expliquer sa fuite, il invente toute une histoire...
« Ayant été instruit que mon escadre était prête et qu’une armée formidable était embarquée dessus ; convaincu comme je vous l’ai plusieurs fois dit que, tant que je ne frapperai pas un coup qui écrase à la fois tous mes ennemis, je ne pourrai jouir tranquillement et paisiblement de la possession de l’Égypte, la plus belle partie du monde, j’ai pris le parti d’aller me mettre à la tête de mon escadre, laissant le commandement en mon absence au général Kléber, homme d’un mérite distingué et auquel j’ai recommandé d’avoir pour les ulémas et les cheiks, la même amitié que moi. »
Bonaparte n’a même pas osé affronter « l’homme d’un mérite distingué ». Kléber n’a toujours pas été prévenu ! Par une lettre écrite en hâte, il lui annonce son départ, précipité par « la crainte que la croisière anglaise ne paraisse d’un moment à l’autre », et tente d’expliquer tant bien que mal ses raisons : « L’intérêt de la patrie, sa gloire, l’obéissance, les événements extraordinaires qui viennent de s’y passer, me décident seuls à passer au milieu des escadres ennemies pour me rendre en Europe. Je serai d’esprit et de coeur avec vous ; vos succès me seront aussi chers que ceux où je me trouverais moi-même, et je regarderais comme mal employés tous les jours de ma vie où je ne ferai pas quelque chose pour l’armée dont je vous laisse le commandement. »
Il lui donne
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