Bonaparte
mer se couvre d’embarcations. Selon le règlement, tous ceux qui reviennent alors de l’Orient sont présumés pestiférés et doivent se plier à la traditionnelle quarantaine. « En vain, racontera l’un des compagnons de Bonaparte, nous les engagions à s’éloigner, nous fûmes enlevés et portés à terre, et si nous disions à la foule d’hommes et de femmes qui se pressaient autour de nous quel danger ils pouvaient courir, tous s’écriaient :
— Nous aimons mieux la peste que les Autrichiens ! »
Bien sûr, il n’est point question pour Bonaparte de demeurer quarante jours à bord de la Muiron. Dès qu’il est mis au fait de la situation intérieure et extérieure – les Autrichiens, les Russes et les Anglais reculent ou n’avancent plus grâce à Brune et à Masséna – il prend sans tarder le chemin d’Aix-en-Provence pour rejoindre – le 10 octobre – la route de Marseille à Paris. « Citoyens Directeurs, écrit-il au Directoire, depuis mon départ de France je n’ai reçu qu’une seule fois de vos dépêches ; elles me sont arrivées le 5 germinal, devant Acre ; elles étaient datées du 14 brumaire et du 5 nivôse ; elles me donnaient la nouvelle de nos succès contre Naples, ce qui me faisait conjecturer une guerre prochaine sur le continent ; et, dès lors, j’ai pressenti que je ne devais pas rester longtemps éloigné de la France. »
Il en arrive maintenant au principal – et le voici fort embarrassé. Comment expliquer l’échec devant Saint-Jean-d’Acre ? Comment transformer l’affreuse retraite en victoire ? Écoutez-le : « Mais si j’avais détruit au cours de ma campagne de Syrie les armées qui menaçaient d’envahir l’Égypte en traversant le désert, il me restait à voir l’issue de l’expédition maritime qui se préparait avec beaucoup d’activité dans la mer Noire. Le débarquement ne pouvait s’opérer qu’à Alexandrie ou à Damiette et je me tins prêt à me porter sur Alexandrie. Vous avez vu dans mes dernières dépêches l’issue de la bataille d’Aboukir. »
Il termine en assurant qu’il a laissé « l’Égypte bien organisée » et « à l’abri de toute invasion ».
Enfin : « elle était déjà toute sous l’eau, et le Nil était plus beau qu’il ne l’avait été depuis cinquante ans ». Le général Bonattrape gouverne même les eaux du Nil ! De quoi le Directoire pourrait-il se plaindre ?
Persuadé que les cinq rois dont il va bientôt former le projet de prendre la place, vont accepter sans sourciller ses explications, Bonaparte prend le chemin de la Provence – et c’est alors qu’un orateur d’un club lui adresse ces paroles :
— Allez, général, allez battre et chasser l’ennemi, et après nous vous ferons roi.
Le jour suivant, à Avignon, l’enthousiasme est d’autant plus à son comble que la nouvelle de la victoire d’Aboukir vient de parvenir en France. « Spectacle électrisant », une foule immense se masse place de l’Oulle, devant l’hôtel du Palais National, où est descendu celui que l’on appelle déjà le sauveur. Le 12 octobre, à son passage à Valence, Mlle Bou, son ancienne logeuse, accourt à la maison de poste. Bonaparte lui offre un cachemire de l’Inde.
Le lendemain, il arrive à Lyon. Les postillons ont orné leurs chapeaux de rubans tricolores. Toutes les maisons sont illuminées et pavoisées de drapeaux. On tire des fusées, on danse dans les rues, on crie : Vive Bonaparte qui vient sauver la patrie !, on prépare au théâtre une pièce « de circonstance » en l’honneur de « César et sa fortune ». Marcelin Marbot, alors fort jeune, accompagne son père, le général de division, qui descend vers l’armée d’Italie. Bonaparte qui a occupé à l’hôtel les chambres retenues par Marbot, le prie de l’excuser et le reçoit longuement. « Nous les voyions tantôt gesticuler avec chaleur, tantôt parler avec plus de calme, rapportera le futur pair de France et général sous Louis-Philippe, puis Bonaparte, se rapprochant de mon père avec un air patelin, passer amicalement son bras sous le sien, probablement pour que les autorités qui se trouvaient dans la cour et les nombreux curieux qui encombraient les croisées du voisinage, pussent dire que le général Marbot adhérait aux projets du général Bonaparte, car cet homme habile ne négligeait aucun moyen pour parvenir à ses fins ; il séduisait les uns et voulait faire croire qu’il avait gagné aussi ceux qui lui
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