Bonaparte
Roustam dans son récit pittoresque, M. Elias m’amène chez le général qui me reçut dans son salon. Première chose qu’il me fait, il me tire les oreilles. Il me dit si je sais monter à cheval. Je lui dis oui. Il me demande aussi si je sais donner des coups de sabre. Je lui dis :
— Oui, j’ai même sabré plusieurs fois les Arabes.
Roustam exhibe la blessure qu’il a reçue sur sa main.
— C’est très bien. Comment t’appelles-tu ?
— Yahia.
— Mais c’est un nom turc. Quel nom portais-tu en Géorgie ?
— Je m’appelle Roustam.
— Je ne veux pas que tu portes un nom turc. Je veux que tu portes le nom de Roustam.
« Après sa rentrée dans sa chambre, il m’apporte un sabre damassé, sur la poignée six gros diamants et une paire de pistolets garnis en or. Il me dit :
— Tiens, voilà pour toi ! Je te le donne et j’aurai soin de toi.
« Il me fait rentrer dans une chambre remplie de papiers. Il me fait emporter tout dans son cabinet. Je servis son dîner, le même jour, à huit heures du soir. Après dîner, il demanda sa voiture pour aller promener alentour de la ville. Il fait demander M. Lavigne, son piqueur, pour me faire donner un bon cheval arabe et une belle selle turque et nous avons été promener, que j’étais placé à côté de sa portière.
« Le soir même, il me dit :
— Voilà ma chambre à coucher. Je veux que tu couches à ma porte et tu laisseras entrer personne. Je compte sur toi.
« Je lui dis, par M. Elias, qui était à côté de moi :
— Je me trouve heureux d’avoir sa confiance et je mourrais plutôt que de quitter ma porte et laisser entrer du monde dans la chambre. Vous pouvez compter sur moi. »
Durant un mois – jusqu’au 14 juillet – Bonaparte ne quittera pas Le Caire. Sent-il, après l’effroyable retraite, qu’il lui faut reprendre en main le pays ? Plusieurs agitateurs sont enfermés à la citadelle. Bonaparte décide de les faire fusiller. Le 23 juin, le général Dugua lui fait cette proposition : « Les fusillades devenant fréquentes à la Citadelle, je me propose, général, d’y substituer un coupeur de têtes. Cela ménagerait nos cartouches et ne ferait pas tant d’éclat. » « Accordé », trace Bonaparte en marge de la demande. Sept lettres que l’on préférerait ne pas trouver sous la signature du futur empereur...
Le 14 juillet, ayant appris que Mourad Bey campe aux Pyramides, Napoléon y transporte son quartier général, mais le lendemain une estafette lui annonce que, secondés par les Anglais de Sidney Smith, neuf à dix mille Turcs sont, au même moment, en train de débarquer et ont déjà occupé le fort d’Aboukir, non loin d’Alexandrie, dont ils ont massacré la garnison. Aussitôt, Bonaparte se met en route avec l’armée, forte de dix mille hommes. Il met une semaine pour atteindre Alexandrie, quitte le port le lendemain même de son arrivée et va passer la nuit à moins de deux lieues d’Aboukir. Le 25 juillet, les deux armées sont face à face : elles restent ainsi en présence durant deux longues heures, « dans ce calme avant-coureur de la tempête », a raconté Bonaparte.
— Cette bataille va décider du sort du monde, annonce-t-il à Murat.
La parole est tout d’abord donnée aux batteries françaises. Surprise par la violence du feu, la première vague turque perd contenance. Lannes fonce, bouscule les Ottomans, les repousse vers la plaine où les attend la cavalerie. En une heure, la première ligne turque est rejetée à la mer. Demeure la seconde ligne dont le centre occupe la redoute du mont Vizir et qui possède dix-sept bouches à feu. Dès le début de l’action, l’artillerie française prend l’ennemi à revers. Dans la trouée faite par les canons, Murat, suivi de six cents cavaliers, s’engouffre et fait un effarant massacre.
— Est-ce que la cavalerie a juré de tout faire aujourd’hui ? s’exclame Bonaparte.
Le 18 e de Ligne combat cependant de son mieux, mais le régiment est débordé par les janissaires qui, touchant une aigrette d’argent par tête de Français abattu, travaillent furieusement du sabre, n’hésitant pas à achever les blessés. Irrité par ce spectacle, fouetté par l’exclamation de leur général, le 69 e de Ligne vole au secours du 18 e et parvient à pénétrer dans la redoute. La cavalerie de Lannes s’élance alors vers le camp de Mustapha-Pacha, le séraskier de Roumélie à barbe blanche, qui se bat en héros. Gravement blessé, il
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