Bonaparte
de l’amphithéâtre de Césarée. Il campe au milieu des murailles, où s’accroche la végétation, qui avaient été élevées là par les Croisés, et, pour la majeure partie, jetées à bas par le déferlement de la furie musulmane.
Le 24 mai, en retrouvant Jaffa et ses pestiférés, il est bien difficile au vaincu de Saint-Jean-d’Acre de croire encore en son étoile. Il retourne voir les malades, traversant rapidement les salles, frappant légèrement le revers jaune de sa botte avec la cravache qu’il tient à la main. Tout en marchant à grands pas, il répète :
— Les fortifications sont détruites. La fortune m’a été contraire à Saint-Jean-d’Acre. Il faut que je retourne en Égypte pour la préserver des ennemis qui vont arriver. Dans peu d’heures les Turcs seront ici, que tous ceux qui se sentent la force de se lever viennent avec nous, ils seront transportés sur des brancards et des chevaux.
Le silence absolu lui répond.
Que faire de ces malheureux ? « Les emmener dans l’état où ils étaient, dira Bourrienne, c’était évidemment inoculer la peste dans les restes de l’armée. » À ces survivants, du poison fut-il administré ? Le fait est nié par certains témoins, affirmé par d’autres, dont Bourrienne. Desgenettes précisera même : « Quelques-uns rejetèrent le poison par le vomissement, furent soulagés, guérirent et racontèrent tout ce qui s’était passé. » Quoi qu’il en soit, lorsque les Turcs entrèrent à Jaffa, ils ne trouvèrent que sept malades encore vivants.
Semant sa route de cadavres, l’armée quitte Jaffa pour le Caire le 28 mai. Bonaparte atteindra seulement « sa » capitale le 14 juin, en passant par Gaza et El Arich. Durant cette longue marche il a le loisir de penser à sa situation peu brillante : quarante-cinq mille hommes ont débarqué l’année précédente à Alexandrie ; il en reste seulement la moitié. Victoires et échecs ont opéré une terrible saignée. Aussi Bonaparte espère-t-il créer une armée de noirs. Il ordonnera à Desaix – qui se trouve encore en Haute Égypte – d’acheter « deux à trois mille nègres ayant plus de seize ans ». Il adressera la même demande – dans un mois – au sultan-négrier de Darfour.
Tout en avançant avec peine dans le sable brûlant, il doit se rendre à l’évidence : pour la première fois, il a été vaincu.
— Mon imagination est morte à Saint-Jean-d’Acre, dira plus tard l’Empereur.
Et il ajoutait :
— Mes projets, comme mes songes... L’Angleterre a tout détruit !
Mais cet échec passera presque inaperçu grâce à la visite du général victorieux à Nazareth, grâce aussi à cette victoire du mont Thabor là même où le passé – et quel passé ! – revivait sous ses pas... Un ton épique va transformer la défaite en journée de gloire. Les soldats de Rivoli seront comparés aux Croisés de Godefroy de Bouillon venus sauver les « lieux saints ».
Phélipeaux est mort de la peste et, seuls les Anglais croiront sir Sidney lorsqu’il prophétisera en écrivant à Nelson : « La plaine de Nazareth est le terme de l’extraordinaire carrière de Bonaparte. »
XII
LE GENERAL « BONATTRAPE »
Du triomphe à la chute, il n’est qu’un pas. J’ai vu dans les plus grandes circonstances, qu’un rien a toujours décidé des plus grands événements.
N APOLÉON .
IL est arrivé au Caire, le Bien-Gardé, le chef de l’armée française, le général Bonaparte qui aime la religion de Mahomet, annonce le Diwan. Nous l’avons tous vu de nos yeux et touché de nos mains. Il est arrivé bien portant et bien sain, remerciant Dieu des faveurs dont il le comble. »
— J’ai appris que des ennemis ont répandu le bruit de ma mort, déclare le général en chef aux chefs égyptiens venus l’accueillir aux portes de la ville. Regardez-moi bien et assurez-vous que je suis réellement Bonaparte.
Le cheik El Bekry, le premier et le plus respecté de la nombreuse famille issue de Mahomet, offre comme présent au général un superbe cheval arabe noir, couvert d’une housse brodée d’or, de perles et de pierres fines. Ce cheval est conduit à la main par un jeune Mameluk nommé Roustam, esclave du cheik, qui le donne également à Bonaparte. Sur-le-champ, Abounaparte saute à cheval et, prenant la tête du cortège pénètre triomphalement dans la ville, par la porte Bab-el-Nassar, dite de la Victoire.
« Entré au service du général en chef, racontera
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