Bonaparte
tient tête aux Français et, à l’instant de se rendre, blesse Murat à la mâchoire. Le futur beau-frère de Bonaparte riposte en coupant au Pacha deux doigts d’un coup de sabre, et Bonaparte bandera lui-même la main du vaincu avec son mouchoir...
La fin de la bataille ne sera plus qu’une boucherie :
« Sur les flots, racontera Napoléon, flottaient des milliers de turbans et d’écharpes que la mer rejetait au rivage. » Parmi les rares survivants se trouvait le futur khédive Mehemet-Ali, fondateur de la dernière dynastie égyptienne. Les Français n’avaient que deux cents morts à déplorer.
— Mon général, s’exclame Kléber, alors que le soleil descend sur le champ de bataille, vous êtes grand comme le monde, mais le monde n’est pas assez grand pour vous !
Napoléon le dira un jour :
— C’est une des plus belles batailles que j’aie vues.
Mais, dans sa lettre au Directoire, il avouera que le combat lui avait semblé « le plus horrible » auquel il lui avait été donné d’assister.
Après la bataille, Bonaparte a envoyé un officier à bord du vaisseau amiral anglais pour traiter un échange de prisonniers. L’amiral britannique remet au parlementaire la Gazette Française de Francfort, en date du 10 juin 1799. Depuis dix mois, Bonaparte se trouve sans nouvelles de France. Il parcourt le journal avec une hâte fébrile.
— Eh bien, déclare-t-il à Bourrienne, mon pressentiment ne m’a pas trompé : l’Italie est perdue ! ! ! Les misérables ! Tout le fruit de nos victoires a disparu. Il faut que je parte.
Il réclame la présence de Berthier et s’enferme durant quatre heures avec lui. Puis il fait appeler l’amiral Ganteaume, qui se trouvait l’année précédente à bord de l’Orient, incendié à Aboukir, et qui avait échappé, par miracle, au désastre. Devenu commandant en chef des forces navales employées sur le Nil et le long des côtes d’Afrique, ayant assisté à toutes les opérations, c’est tout naturellement à lui que Bonaparte va confier son destin pour regagner la France. Ganteaume offre ce qu’il a de mieux : deux frégates vénitiennes, la Muiron et la Carrère, seuls bâtiments de guerre dans le port, en état de naviguer. Deux autres petits bâtiments – la Revanche et la Fortune – pourront être joints aux frégates.
Bonaparte reçoit ensuite Marmont qui s’est battu, tel un lion, durant toute la campagne, aussi bien aux Pyramides qu’à Alexandrie où, chargé de la défense de la ville, il a résisté victorieusement aux attaques des flottes anglaise et turque :
— Marmont, je me décide à partir pour retourner en France, et je compte vous emmener avec moi. L’état des choses en Europe me force à prendre de grands partis ; des revers accablent nos armées et Dieu sait jusqu’où l’ennemi aura pénétré. Le prix de tant d’efforts, de tant de sang versé, nous échappe. Aussi, que peuvent les gens incapables placés à la tête des affaires ?... Moi absent, tout devait crouler. N’attendons pas que la destruction soit complète : le mal serait sans remède. La traversée pour retourner en France est chanceuse, difficile, hasardeuse ; mais elle l’est moins que ne l’était notre navigation en venant ici et la fortune, qui m’a soutenu jusqu’à présent, ne m’abandonnera pas en ce moment. Au surplus, il faut savoir oser à propos ; qui ne se soumet à aucun risque n’a aucune chance de gain. On apprendra en France, presque en même temps, et la destruction de l’armée turque à Aboukir, et mon arrivée. Ma présence, en exaltant les esprits, rendra à l’armée la confiance qui lui manque et, aux bons citoyens, l’espoir d’un meilleur avenir. Il y aura un mouvement dans l’opinion tout au profit de la France. Il faut tenter d’arriver et nous arriverons !
Sans doute Bonaparte se trouve-t-il dans la quasi-impossibilité de demander une « permission » au ministre de la guerre, mais il n’en prend pas moins la résolution d’abandonner son poste et son armée.
Le 11 août, il est rentré au Caire et cache soigneusement son projet de départ. Il annonce simplement qu’il se rend pour une inspection dans le delta. Kléber, qui va pourtant succéder à Bonaparte, n’est même pas mis au courant. Une exception est faite pour Pauline Fourès qu’il n’emmènera pas avec lui :
— Je puis être pris par les Anglais, lui explique-t-il la veille du départ ; tu dois, toi-même, avoir soin de ma gloire. Que
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