Bonaparte
beau baladin de Murat monté du cabaret de son père au gouvernement de Paris d’où il devait monter sur un trône, depuis les trois soeurs impériales qui avaient quitté le savonnage de leurs chemises à Marseille pour venir empanachées et couvertes de diamants porter la queue de la vieille maîtresse de Barras, depuis cette valetaille de grands officiers installée depuis quinze jours, Montmorency, Cossé, La Trémoille, etc..., jusqu’à la petite culotte de peau du 13 vendémiaire qui figurait dans sa voiture de sacre, en dalmatique et manteau blanc. Il y avait dans cette saturnale de quoi rire ou de quoi pleurer suivant les goûts ou les caractères. »
À l’Archevêché, l’Empereur et l’Impératrice revêtent leur « grand habillement », les deux fameux manteaux de velours pourpre, cachant en partie la longue robe à l’antique en satin blanc brodé d’or pour Napoléon, la robe de brocart d’argent pour Joséphine. Tout à l’heure, avant le départ des Tuileries, Isabey, dit-on, l’avait aidée à se maquiller, mais elle s’attarde cependant à faire un ultime « raccord ». Enfin, par la longue galerie, le cortège se dirige vers la basilique. Ainsi que prévu, les trois soeurs et les deux belles-soeurs de Napoléon soutiennent le manteau de Joséphine, tandis que Joseph, Louis et les deux ex-consuls portent celui de l’Empereur. Les maréchaux désignés pour tenir les honneurs suivent, habillés de velours bleu, de satin blanc, tout froufroutants de plumes. Les anciens compagnons du général Bonaparte se sont partagés le sceptre en vermeil, la main de justice ornée de perles, et la « boule du monde » également en vermeil... Toutes ces merveilles, ainsi que la couronne de laurier que l’Empereur a sur la tête, ont été confectionnées par le joaillier Biennais. La facture s’est élevée à sept mille francs. Kellerman, Lefebvre et Pérignon portent les honneurs de Charlemagne...
À l’instant où l’Empereur apparaît dans la nef, tous les assistants se lèvent et crient : Vive l’Empereur ! « La petite taille de l’Empereur, racontera Mme de Rémusat, se fondait sous cet énorme manteau d’hermine. Une simple couronne de lauriers ceignait sa tête ; il ressemblait à une médaille antique. Mais il était d’une pâleur extrême, véritablement ému, et l’expression de ses regards paraissait sévère et un peu troublée. »
Les deux orchestres attaquent une marche guerrière. Ils joueront presque sans interruption durant la longue cérémonie, il a fallu établir pour les musiciens douze mille cent trente-sept pages de copie. On voit jaillir des orchestres ces instruments destinés à soutenir la voix des chantres et à qui leur forme curieuse avait fait donner le nom de « serpents ». Musiciens et chanteurs devaient recevoir cinquante et un mille francs.
— Quoi ! cinquante et un mille francs ! s’exclamera un peu plus tard l’Empereur. Ai-je bien lu ?... Mais avec une pareille somme j’équiperais un régiment de ma Garde ! Il convient de regarder cela d’un peu plus près...
Et il fera des coupes sombres dans la facture.
Il est midi. La cérémonie commence dans le choeur où sont placés les deux prie-Dieu de l’Empereur et de l’Impératrice. Les assistants devineront à peine le déroulement du sacre et du couronnement. Napoléon ne tient nullement à ce que les anciens jacobins le voient à genoux devant le Pape, le visage et les mains couverts d’huile...
C’est « d’abord le serment religieux : l’Empereur « jure devant Dieu et ses anges de faire et conserver la loi, la justice et la paix de l’Église »... Suivent les oraisons, les interminables litanies du texte revu et expurgé.
« Je ne puis rendre ce que j’ai éprouvé, écrira la duchesse d’Abrantès, lorsque l’Empereur est descendu de son trône et s’est avancé vers l’autel où le pape l’attendait pour le sacrer... Napoléon paraissait fort calme. Je l’examinai attentivement pour voir si son coeur battait sous la dalmatique impériale plus vivement que sous l’habit de colonel des guides de la Garde ; mais je ne vis rien et pourtant j’étais à dix pas de lui. La longueur de la cérémonie seulement parut l’ennuyer, et je le vis. plusieurs fois étouffer un bâillement. Mais il fit tout ce qui lui fut ordonné et toujours convenablement. Lorsque le Pape lui fit la triple onction, sur la tête et les mains, je m’aperçus, à la direction de ses yeux, qu’il
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