Bonaparte
encore la grotte des Réfugiés. C’est là que Carlo-Maria Buonaparte recevra les émissaires du comte de Vaux venus proposer la paix. Toute résistance est désormais inutile. Et l’Empereur pourra dire un jour :
— Je naquis alors que la patrie périssait.
La Corse accepte ses nouveaux maîtres. Aussi Carlo-Maria et Letizia, cessant de jouer aux patriotes robinsons, regagnent-ils leur grande maison d’Ajaccio, un gros cube couvert d’un crépi jaune qui se dresse dans la strada Malerba, rue de la Mauvaise-Herbe – la bien nommée, paraît-il. Ils occupent le rez-de-chaussée et le premier étage qui sont alors meublés infiniment moins somptueusement qu’aujourd’hui. La belle galerie, qui surprend les visiteurs de notre temps, n’existe pas encore. De même la petite place plantée d’arbres ne sera aménagée devant la maison que sous le Consulat.
Au second, demeurent quelques-uns des innombrables cousins du clan : les Pozzo di Borgo. De ce voisinage naît une brouille – pour ne pas dire une vendetta – entre les deux familles. Un jour – en ces temps de voirie élémentaire – une des dames Pozzo ayant jeté par la fenêtre le contenu d’un pot de chambre celui-ci tombe malencontreusement sur Mme Letizia... L’affaire est portée devant la justice – les Buonaparte étant passés maîtres dans l’art de la chicane – et la robe souillée doit être remboursée.
Charles – il est maintenant inscrit au barreau d’Ajaccio, a francisé son prénom – s’est mis au service des Français avec peut-être trop de platitude – le maquisard s’est métamorphosé en courtisan – et l’on ironise : « le Buona-Parte se met du bon parti ». Son fils le jugera sévèrement plus tard, et lui reprochera d’avoir abandonné Paoli :
— Jamais je ne pardonnerai à mon père, qui a été son adjudant, d’avoir concouru à la réunion de la Corse à la France. Il aurait dû suivre sa fortune et succomber avec lui.
Letizia est-elle de cet avis ? Approuve-t-elle l’esprit « collaborationniste » de son mari ?
— Ma mère, dira Napoléon, au moment de la conquête, était, comme tout le monde, très montée contre les Français... Elle voulait accoucher dans une caverne.
Luciano, le pittoresque vieil oncle, archidiacre de la cathédrale d’Ajaccio, fera comprendre à sa nièce que l’époque de la résistance était révolue... et peut-être M. de Marbeuf, gouverneur de l’île, ne fut-il pas étranger à,ce revirement.
Le marquis général de Marbeuf aurait été selon certains, l’amant de Mme Letizia. Et ce n’est peut-être pas impossible. Devant les infidélités de son mari, la Madré n’avait-elle pas toutes les excuses du monde pour se laisser aller dans les bras du galant gentilhomme français ? « Il est urgent que tu ôtes le portrait de Marbeuf du salon », écrira Napoléon à son frère Joseph en 1790. Et il ajoutera même : « Enlève aussi le portrait de maman ». Des mauvaises langues ont été jusqu’à affirmer que le gouverneur était le père du futur empereur. Napoléon, lui-même, aurait eu des doutes.
— D’où viennent mes talents militaires ? dira-t-il un jour. Les Buonaparte étaient avocats ou magistrats. On a prétendu que, en réalité, je serais issu d’un général. Cette hérédité pourrait tout expliquer.
L’hypothèse devient infiniment moins probable lorsqu’on se penche sur les dates. Napoléon a été conçu au mois de novembre 1768. Sans doute le gouverneur connaissait-il déjà les Buonaparte et, à son arrivée à Ajaccio avait-il comblé Charles de prévenances, mais la Corse se trouvait alors en pleine insurrection. Marbeuf résidait à Ajaccio, s’affichait avec une « dame de Varesse », tandis que les Buonaparte demeuraient près de Corte, en « zone paoliste », chez l’oncle de Letizia, Tomaso Arrighi di Casanova. Si la mère de l’Empereur a eu des bontés pour le marquis de Marbeuf – et ici on ne peut rien affirmer – elles n’ont vraisemblablement existé que bien plus tard...
Ce n’est pas la première fois que la petite Letizia va mettre un enfant au monde. Avant Giuseppe – le futur roi Joseph, né en 1768 – elle a donné le jour à un garçon, puis à une fille qui sont morts tous deux en bas âge.
Le 15 août 1769, Ajaccio qui n’est alors qu’une bourgade, célèbre à la fois la fête de la Vierge et, avec un enthousiasme de commande, le premier anniversaire du traité rattachant la Corse à la France. À
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