Bonaparte
disparaît, vous n’êtes plus à ses yeux qu’un mari de Molière. Laissez là les torts de votre femme et commencez par relever l’État.
— Non ! interrompt Bonaparte avec violence, elle ne mettra plus le pied dans ma maison. Que m’importe ce qu’on en dira ! On en bavardera un jour ou deux, le troisième on n’en parlera plus. Au milieu des événements qui s’amoncellent, qu’est-ce qu’une rupture ? La mienne ne sera point aperçue...
Collot tente encore de lutter :
— Tant de violence me prouve que vous en êtes toujours épris. Elle paraîtra, s’excusera, vous lui pardonnerez, et vous serez plus tranquille.
— Moi ? dit-il en criant et en brandissant sa paire de pincettes. Lui pardonner !... Jamais... jamais... Entendez-vous, jamais !...
Rien ne peut le calmer. Pas plus les supplications d’Eugène que la visite du vieux marquis de Beauharnais. Le clan sent approcher le moment où celle qu’il appelle la vieille va enfin être expulsée et redouble d’efforts. Joseph et Mme Letizia n’ont qu’un nom à la bouche : celui de Charles, ce freluquet ! Comme le dira Barras dans ses Mémoires, la tribu attend « les dépouilles » de Joséphine. Ce sont « autant d’oiseaux de proie ! »
Le soir de son arrivée, alors que le brouillard s’apesantit sur la ville, Napoléon va voir Barras. Il y retourne le lendemain après-midi. Le Directeur lui parle de l’Égypte et de la France, il répond en évoquant ses « chagrins domestiques ». Il parle, raconte, précise, donne « les plus intimes détails sur sa position conjugale relativement à la conduite de sa belle en son absence ».
— Soyez donc philosophe, conseille Barras.
— Cela est bien aisé à dire, répond-il en poussant « de gros soupirs » – ce qui étonna son interlocuteur.
Habituellement, Napoléon ne se livrait pas à ce genre de « démonstration ». Aujourd’hui, il se lance dans un long monologue, ouvrant son coeur, rapportant tout ce qu’il sait, par Joseph et par Lucien, à l’ex-amant de sa femme qui doit bien rire sous cape :
— Lors de mon mariage, je n’ai point ignoré que Mme de Beauharnais, séparée de son premier mari, avait vécu avec Hoche, avec ses aides de camp et même avec des inférieurs. Mais, en l’épousant, j’ai cru qu’au moins tout cela était fini, et ne recommencerait plus. Elle a été une veuve, eh bien, une veuve c’est comme une fille libre : l’une et l’autre sont maîtresses de leurs actions ; il n’en est pas de même lorsqu’on a convolé en mariage ; il faut s’y soumettre, il y a là une discipline obligée par l’ordre social. Après tout ce que j’ai pardonné à ma femme de ses antécédents, j’étais en droit de croire à une meilleure conduite. Je croyais qu’elle aurait fait balai neuf. Au lieu de cela, ses déportements n’ont pas eu un moment de repos.
La colère l’étouffé, il salit sa femme presque à plaisir, poussant au pire la légèreté de sa créole... à moins que ce ne soit Barras en rapportant la scène :
— À l’armée d’Italie même où je l’avais fait venir pour l’avoir près de moi. C’était tantôt un officier de cavalerie ou d’infanterie ! C’étaient des conscrits. C’était, dernièrement encore, ce petit Charles pour lequel elle a fait toutes sortes de folies, et à qui elle a donné des sommes énormes, et jusqu’à des bijoux, se conduisant comme une fille !
« Les frères Bonaparte avaient pu exagérer la mauvaise conduite de Madame Bonaparte, reconnaît Barras, mais le fond en était extrêmement vrai. »
— C’est pour moi une source de chagrin, reprend Napoléon. En fait de folies il n’y a que les plus courtes qui sont les plus excusables, aussi je veux en finir de celle de mon mariage... J’ai promis à mes frères de la condamner sans même l’entendre. Je divorcerai.
— Si large que peut être la loi du divorce, remarque Barras, je ne connais pas, dans la société, de personnes se respectant un peu qui en ont usé, et qui veulent en user encore – à commencer par moi, et je ne suis pas un saint...
Le lendemain, Napoléon fait entreposer toutes les affaires de sa femme chez le concierge de l’hôtel de la rue Chantereine, avec interdiction de laisser pénétrer « la belle ». Mais le soir du 18, rentrant de sa randonnée manquée, par un épais brouillard, Joséphine force la consigne, gravit l’escalier et se heurte à la porte fermée de la chambre. Il est là, couché. Et durant
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