Bonaparte
plusieurs heures Bonaparte – elle l’appelle toujours ainsi – l’entend pleurer, supplier, tambouriner, lui affirmer que tout est faux, qu’elle n’aime que lui, que le petit Hippolyte n’a jamais été qu’un ami. Elle n’hésite pas à appeler Eugène et Hortense, qui descendent de leurs chambres, et mêlent leurs larmes à celles de leur mère. Il se bouche les oreilles pour ne pas entendre... Et puis – enfin – il faiblit, il ouvre, il regarde son visage bouleversé... et referme ses bras sur elle.
Pour elle aussi, il sera ce soir-là le général Bonattrape.
Lui n’oubliera jamais. Bien plus tard, sorti un matin, à pied, avec Duroc, un cabriolet « qui allait fort rapidement » dépassa les deux hommes sur le boulevard. L’Empereur avait passé son bras sous celui de son compagnon et le grand maréchal du palais – il le racontera – sentit Napoléon lui presser le poignet et s’appuyer sur lui de tout le poids de son corps. Il était fort pâle...
— Ce n’est rien, murmura-t-il : tais-toi !
C’est Charles qui se trouvait à bord du cabriolet...
Le pardon fit cependant mauvais effet aux yeux de certains, telle Mme Reinhard, l’épouse du comte Reinhard, né en Wurtemberg et devenu diplomate au service de la France. Au moment du coup d’État de Brumaire, il était, depuis le 20 juillet précédent, ministre des Affaires étrangères et sa femme se trouvait fort bien placée pour voir, observer... et, un jour, se souvenir des impressions qu’elle avait ressenties en apprenant la jobardise du mari berné : « Cet homme qui a toutes les audaces et tous les courages, écrira-t-elle, tolère que son nom soit déshonoré et traîné dans la boue. L’amour-propre, la crainte du ridicule le retiennent... Pourtant, son calcul est faux, car, quand les scandales sont aussi notoires, il est ridicule, pour ne pas dire pitoyable, de les tolérer. »
Voire ! Joséphine allait assurément aider son mari de toutes ses forces – et elles étaient appréciables – à prendre la France... qui ne demandait d’ailleurs qu’à être prise.
XIII
BRUMAIRE AN VIII
Une Révolution est unie opinion qui trouve des baïonnettes.
N APOLÉON .
C‘ EST son changement de coiffure que les journalistes semblent tout d’abord avoir signalé : « Il a adopté les cheveux courts et sans poudre. »
Napoléon perce sous Bonaparte...
Puis les gazettes nous donnent le pouls de la capitale, ce 17 octobre : « Rien n’égale la joie que répand le retour de Bonaparte. C’est, avec nos dernières victoires, le seul événement qui, depuis longtemps, ait rallumé l’enthousiasme populaire. On boit, à ce retour, jusque dans les cabarets ; on le chante dans les rues. » La province suit le mouvement : « La nouvelle de l’arrivée de Bonaparte a tellement électrisé les républicains, écrit l’Administration municipale de Pontarlier, que plusieurs d’entre eux ont versé des larmes et que tous ne savaient si c’était un rêve. »
Au Palais-Bourbon, le retour a été annoncé d’étrange façon. Après avoir parlé longuement de faits d’importance secondaire, le messager du gouvernement déclare – en incidente :
— Le Directoire vous annonce avec plaisir, citoyens représentants, qu’il a aussi reçu des nouvelles de l’armée d’Égypte. Le général Berthier a débarqué le 17 de ce mois à Fréjus avec le général en chef Bonaparte.
Mais, aussitôt, l’Assemblée entière, debout, applaudit, crie Vive la République ! et lève la séance « au son des airs chéris de la liberté ».
Seul Fouché – déjà ! – avait prévu que Bonaparte « tomberait des nues » avec la rapidité de l’éclair, et se trouvait préparé à l’événement. Seul – il l’affirme –, il ne fut pas frappé « par la surprise ». Les Directeurs, eux, demeurèrent d’abord indécis. Que fallait-il faire ? Traiter Bonaparte en rebelle, en vaincu ou en héros victorieux ?
— Eh bien, déclare paisiblement Sieyès, c’est un général de plus ; mais avant tout, ce général a-t-il de son gouvernement la permission de revenir ?
Le normand Moulin, l’un des Directeurs, veut faire arrêter et condamner le général en chef de l’armée d’Égypte pour désertion. Boulay de la Meurthe renchérit :
— Eh bien, je me charge de le dénoncer demain à la tribune et de le faire mettre hors la loi.
— Mais, réplique Sieyès, ce n’est pas moins que le fusiller, ce qui est grave, quoiqu’il le
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