Bonaparte
résistaient par devoir. »
Ce même jour, la nouvelle de son retour a atteint Paris et, ici, il faut donner la parole à Thiébault qui, ce soir-là, se promenait au Palais-Royal : « J’y étais à peine entré par la grande porte, quand, à l’autre extrémité du jardin, je vis un groupe se former et se grossir, puis, des hommes et des femmes courant à toutes jambes... sans doute on échangeait l’annonce d’une grande nouvelle, insurrection, victoire ou défaite. Pour abréger mon incertitude, j’avais hâté le pas ; je voulus même questionner quelques personnes qui, venant du rassemblement, me croisaient en précipitant leurs pas. Aucune ne s’arrêta, mais un homme, sans cesser de courir, me cria d’une voix tout essoufflée cette phrase :
— Le général Bonaparte vient de débarquer à Fréjus !
« Alors, à mon tour, je subis l’effet du vertige, et, après le premier instant de stupeur, qui me retint pendant quelques secondes fixé au sol, je pris ma course pour rejoindre mon cabriolet que j’avais laissé rue du Lycée... Cette nouvelle que le Directoire venait de faire annoncer aux Conseils par un messager précédé d’une musique, se propagea avec la rapidité fluide de l’électricité... La musique des garnisons de la capitale parcourait déjà Paris en signe d’allégresse, entraînant à leur suite des flots de peuple et de soldats. La nuit venue, des illuminations furent improvisées dans tous les quartiers, et ce retour aussi désiré qu’inattendu, fut annoncé dans tous les théâtres aux cris de : Vive la République ! Vive Bonaparte ! »
Au même instant, Joséphine roule déjà à la rencontre de son mari, mais, en compagnie d’Hortense, elle a pris la route de Bourgogne alors que Bonaparte a choisi celle du Bourbonnais. Elle compte sur le souvenir de leurs étreintes pour éviter le divorce. En lisant la lettre écrite l’année précédente par Bonaparte à son frère, elle a appris que son mari « savait tout ». Au mois de mars dernier, Louis en revenant d’Égypte lui avait confirmé la détermination que son frère avait prise. Le futur roi de Hollande avait apporté une lettre pour Joseph : « Aie des égards pour ma femme, recommandait le mari trompé, vois-là quelquefois ; je prie Louis de lui donner quelques bons conseils. » Ces conseils – donnés ou non – n’avaient pas pour autant interrompu la folle aventure de l’amoureuse créole avec son cher Hippolyte. Avec une inconscience aussi féminine que désarmante, elle avait écrit à Eugène le 4 octobre – Bonaparte se trouvait alors à Ajaccio : « Je n’aurais plus rien à désirer, surtout si je retrouve Bonaparte tel qu’il m’a quittée et qu’il aurait toujours dû être pour moi... »
À moins que par une ruse assez classique, dont elle était bien capable, elle ne veuille imputer les torts à Bonaparte pour amoindrir les siens ! En fait, elle était bien la cause du/ seul reproche qu’elle pouvait lui faire. Car ce n’est qu’après avoir connu son infortune que son mari s’était affiché, en Égypte, avec Bellilotte.
Bonaparte roule vers Paris avec l’intention bien ancrée de divorcer. Sa résolution sera encore affermie en voyant la maison vide, à son arrivée le 16 octobre, à six heures du matin, rue Chantereine, – où il retrouve le froid brouillard parisien ; dans une semaine on sera en brumaire... On a beau lui dire que Joséphine est partie à sa rencontre, il hausse les épaules. Sa colère est profonde et terrible. Il est torturé à l’idée que Charles, cette fois encore, est peut-être du voyage ?
— Les guerriers d’Égypte, s’exclame-t-il, sont comme ceux du siège de Troie : leurs femmes ont gardé le même genre de fidélité.
— Vous lui pardonnerez, général, lui affirme le fournisseur de l’armée d’Italie, Collot.
— Moi ? Lui pardonner ? Jamais ! Si je n’étais pas sûr de moi, j’arracherais mon coeur et je le jetterais au feu !
— Quoi ? s’exclame le financier, vous voulez vraiment quitter votre femme ?
Une paire de pincettes à la main, tout en tisonnant avec rage le feu de bois de son bureau, Bonaparte lui lance :
— Ne l’a-t-elle pas mérité ?
— Je l’ignore, mais est-ce le moment de s’en occuper ? Songez à la France. Elle a les yeux fixés sur vous. Elle s’attend à voir tous vos moments consacrés à son salut. Si elle s’aperçoit que vous vous agitez dans des querelles domestiques, votre grandeur
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