Bonaparte
sortie auquel participent les élèves de toutes les écoles royales de France. L’un des deux professeurs de mathématiques, Monge {6} , aurait tracé cette note : « Napoleone de Buonaparte. Réservé et laborieux, préfère l’étude à toute espèce d’amusement, se plaît à la lecture des bons auteurs ; très appliqué aux sciences abstraites ; peu curieux des autres ; connaissant à fond les mathématiques et la géographie ; silencieux, aimant la solitude, capricieux, hautain, extrêmement porté à l’égoïsme, parlant peu, énergique dans ses réparties, ayant beaucoup d’amour-propre, ambitieux et aspirant à tout ; ce jeune homme est digne qu’on le protège. » De son côté, M. de l’Aiguille écrivait ces lignes prophétiques : « Corse de nation et de caractère, ce jeune homme irait loin si les circonstances le favorisaient. »
Le 28 septembre, les promotions sont publiées. Napoleone est follement heureux : il est reçu ! Sur cent trente-sept candidats, cinquante-huit sont admis comme lieutenants en second, dont quatre cadets de l’École militaire de Paris : Picot de Peccaduc trente-neuvième, Phélippeaux – le futur rival de Bonaparte à Saint-Jean-d’Acre : quarante-et-unième – Napoleone de Buonaparte : quarante-deuxième, enfin, in extremis, Alexandre des Mazis se trouve admis à la cinquante-sixième place.
Napoléon pourra dire plus tard :
— J’ai été officier à l’âge de seize ans et quinze jours.
Son brevet – signé par Louis XVI à Saint-Cloud et contresigné par le maréchal de Ségur – a, en effet, été antidaté et porte la date du 1 er septembre. Le mois suivant, le lieutenant en second Buonaparte est affecté avec son ami des Mazis au régiment de la Fère, qui tient garnison à Valence.
Le 28 octobre, dès qu’il a revêtu son nouvel uniforme d’officier et reçu la boucle de col en argent et son épée, Buonaparte se précipite chez Mme Per-mon et va se montrer aux deux jeunes filles de la maison qui éclatent de rire en voyant ses jambes « alors fort grêles » perdues dans une gigantesque paire de bottes. Leur fou rire est tel que le nouvel officier se fâche.
— Puisque vous ceignez l’épée, lui dit Cécile, la plus âgée des deux soeurs, vous devriez être le chevalier des dames et vous trouver bien heureux qu’elles plaisantent avec vous.
— On voit bien que vous n’êtes qu’une petite pensionnaire, réplique Napoleone, dédaigneusement.
— Et vous, répond la jeune fille, vous n’êtes qu’un chat botté !
Il a bien du mal à maîtriser sa colère. Ce qui n’empêchera pas, le lendemain, le jeune officier de seize ans, sur ses maigres économies, d’offrir à la « petite pensionnaire » une jolie édition du Chat Botté, et, à Laure un pantin représentant le chat botté courant devant le carrosse de son maître, le marquis de Carabas.
Le 29 octobre, par un temps très couvert, un vent affreux et des rafales de pluie, – les archives de l’Observatoire nous l’indiquent – Napoleone va rendre visite à Mgr de Marbeuf, alors de passage à Paris et qui l’a déjà si souvent protégé. L’évêque d’Autun le reçoit au palais abbatial de Saint-Germain-des-Prés où il réside, et lui donne une recommandation pour Mgr Tardivon, abbé général de Saint-Ruf à Valence.
Le dimanche 30 octobre, le brouillard, puis de lourds nuages couvrent le ciel, mais à onze heures du soir, c’est par un temps merveilleux, un ciel très pur, que, escortés par un bas-officier, Buonaparte et Alexandre des Mazis quittent le Champ de Mars. Ils se rendent quai des Célestins, au bureau des Messageries où ils soupent et couchent aux frais de l’École. Le lendemain à cinq heures du matin – le temps est toujours beau, mais des nuages commencent à apparaître venant du sud-ouest – les deux jeunes officiers montent dans la diligence qui doit les conduire à Sens d’abord où aura lieu la Couchée, puis par Auxerre et Autun, jusqu’à Châlon-sur-Saône, où ils trouveront place dans le coche d’eau qui les déposera à Lyon.
C’est à Fontainebleau qu’ils prennent leur premier repas à leur compte. Sans doute – Lenotre l’a pensé – écourtent-ils leur dîner afin de donner un coup d’oeil au château royal. « Quelques années plus tard, le pauvre cadet qui contemplait ce jour-là, le nez collé aux grilles, les vieilles façades du palais, sera le maître de ces splendeurs et y recevra à sa table le pape
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