Bonaparte
avant.
— Que de rouflées j’ai alors données ! avouera-t-il plus tard.
Et les « rouflées » du petit hobereau, « boursier du roy », s’adressent aux Rohan, Broglie ou Montmorency-Laval ! On ne peut s’empêcher d’évoquer le jour où, pour la première fois aux Tuileries, les nouveaux chambellans impériaux seront présentés à Napoléon. Il y avait là un Ségur, un Noailles, un Gontaut, un Béarn, un Turenne, un Contades ! Le maréchal du palais demanda à l’Empereur de bien vouloir désigner ceux qui devaient commencer leur service :
— Cela m’est égal !
— Mais pourtant, Sire...
— Eh bien, décida Napoléon, en regardant le lot comme s’il s’agissait de choisir des chevaux de remonte, prenez le blond et le crépu...
De même qu’à Brienne, on le voit arpenter, seul, la cour, ou – l’hiver – les salles de récréation. Il ne fait aucune attention aux jeux qui l’environnent. « Ces méditations, nous dit des Mazis, lui donnent un air distrait. On le voit ainsi s’animer, marcher à plus grands pas, et rire ou gesticuler. Enfermé dans son rêve, il ne semble se réveiller que lorsque l’un de ses camarades le heurte en courant. » Des Mazis s’approche parfois de lui et la conversation « roule sur des choses sérieuses, il gémit sur la frivolité des élèves, les désordres qui régnent entre eux et le peu de soin qu’on apporte à nous surveiller et à nous préserver de la corruption... ». Son camarade est conquis « par l’originalité du caractère » de son nouvel ami. De son côté, Buonaparte « trouve quelqu’un qui le conçoit, l’apprécie, et à qui il peut, sans contrainte, manifester ses pensées ».
Seule la compagnie de des Mazis parvient à le sortir de ses rêves, et l’unique jeu de l’École qui l’intéresse est celui de l’attaque ou de la défense des redoutes. « Alors, il se met à la tête d’un de ces partis et le commande avec une intelligence remarquable, »
Les jours de sortie, Buonaparte loge chez ses correspondants à Paris, les Permon, amis de la famille Buonaparte, qui demeurent à l’hôtel de Sillery, 13, place de Conti. S’il faut en croire la tradition, le cadet Buonaparte couche dans la mansarde située au troisième étage, dont la fenêtre donne à l’angle de la place et de l’impasse Conti. La fille cadette de Mme Permon, Laure, qui sera un jour Mme Junot, puis duchesse d’Abrantès, fait ainsi la connaissance du futur empereur. « Ce que Napoléon avait de charmant lorsqu’il devint jeune homme, écrit-elle, c’était son regard, et surtout, l’expression douce qu’il savait lui donner dans un moment de bienveillance. À la vérité, l’orage était affreux, et, quelque aguerrie que je fusse, jamais je n’ai regardé cette physionomie admirable, même dans la colère, lorsqu’elle était animée, sans éprouver un frisson ; son sourire était également captivant, comme le mouvement dédaigneux de sa bouche vous faisait trembler. Mais tout cela, mais le front qui devait porter les couronnes d’un monde, ces mains dont la plus coquette des femmes se serait enorgueillie et dont la peau blanche et douce recouvrait des muscles d’acier, des os de diamant, tout cela ne se distinguait pas dans l’enfant et ne se fit présumer que dans le jeune homme adolescent. »
Un jour, la mère de Laure et son oncle Démétrius Commène se rendent avec Napoleone à Saint-Cyr pour aller voir Maria-Anna Buonaparte. Dès l’arrivée des visiteurs la petite fille fond en larmes : l’une de ses camarades – Mlle de Montluc – doit quitter le couvent de Saint-Louis dans quelques jours. Un goûter d’adieu va être offert à cette occasion et la soeur de Napoleone ne possède pas un franc pour participer à la dépense. Le premier mouvement de l’élève-officier est de porter la main à sa poche ; mais « comme la réflexion lui dit qu’il ne trouverait pas ce qu’il y cherchait », il rougit en frappant du pied. Mme Permon offre alors les dix ou douze francs nécessaires pour calmer le chagrin de Maria-Anna. Lorsque les visiteurs remontent en voiture, Napoleone explose, éclatant en invectives contre l’administration des maisons comme Saint-Cyr et l’École militaire qu’il qualifie de détestable. « On voyait, rapportera Laure, que l’humiliation de sa soeur lui avait fait mal. Mon oncle qui était extrêmement vif s’impatienta à la fin du ton d’amertume tranchant qu’il mettait dans son discours, et
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