Bonaparte
heures consacrées à la salle d’armes étaient employées à faire assaut. Napoléon était vite en nage, il était dangereux de ferrailler avec lui, il se mettait en colère lorsqu’il était touché et fondait sur son adversaire sans règle ni mesure ; c’était avec moi qu’il faisait assaut le plus souvent, et lorsque je lui portais une botte, j’avais soin de me retirer en arrière pour lui donner le temps de se calmer.
— Par saint Pierre, s’écriait-il, je vais me venger !
Et il allait d’estoc et de taille sans songer à se garantir des coups qu’il se mettait hors d’état de parer et qu’alors il était facile de lui porter. Le maître d’armes venait s’interposer pour faire cesser le combat qu’il poussait à outrance. Il a cassé un grand nombre de fleurets. Je porte encore la marque d’une de ses bottes qui m’a mis plusieurs jours hors de combat avec lui. »
Certaines de ses réactions surprennent. Un jour de fête publique, un ballon doit être lancé au Champ de Mars, les élèves de l’École se trouvent sous les armes depuis fort longtemps et le ballon ne part pas. Buonaparte s’impatiente, donne son fusil à tenir à des Mazis, sort des rangs et va couper les cordes qui retiennent le ballon. « Il fut crevé et Buonaparte sévèrement puni. »
Le nouvel élève a maintenant revêtu le pimpant uniforme de l’École : habit bleu à collet rouge et à doublure blanche, avec galons en argent, veste et culotte en serge bleue. La tenue est complétée par une paire de gants, ou trois paires pour ceux qui montent à cheval, un chapeau brodé d’argent ou garni d’un bord de poil de chèvre.
Bon en mathématiques, moyen en histoire, il est moins bien noté qu’à Brienne.
— On me mit tout de suite dans la classe d’artillerie ; je fus reçu avant-dernier, avouera-t-il plus tard.
Seize professeurs se partagent les huit heures de classe par jour : classes de mathématiques, de grammaire, d’histoire, de géographie, de dessin, d’allemand, de fortifications, de maniement d’armes, d’escrime et d’équitation. Seuls les futurs marins – comme Napoleone – reçoivent des leçons d’anglais. « Quant au maître d’allemand, ne pouvant rien lui faire apprendre, racontera des Mazis, il avait fini, après bien des menaces, par lui laisser faire tout autre chose que de l’allemand. Il avait pour cette langue une répugnance invincible, et il ne comprenait pas qu’on pût s’en mettre un mot dans la tête. Il profita de cette liberté pour lire pendant toute la classe des livres d’histoire et de politique qu’on lui prêtait de la bibliothèque qui était à la disposition des élèves. Le maître d’écriture avait fait comme celui d’allemand, il l’avait renvoyé de sa classe, non parce qu’il écrivait bien, mais parce qu’il voyait qu’il ne pourrait s’assujettir aux plus simples principes d’écriture... »
Le lever se fait à six heures du matin, le coucher à neuf. Les élèves sont fort bien traités. Chaque repas comprend cinq services :
Dîner gras : soupe, bouilli, deux entrées, trois desserts.
Souper gras : deux plats, salade, trois desserts.
Dîner ou souper maigre : soupe, deux plats de légumes, un plat de « graines », un plat de poisson, un plat d’oeufs, trois desserts.
Le dortoir est divisé en cellules bien meublées. Un nombreux personnel sert les élèves et, plus tard, Napoléon critiquera cette prodigalité :
— Nous étions nourris, servis, traités avec magnificence en toutes choses, comme des officiers qui jouiraient d’une grande aisance, plus grande certainement que celle dont beaucoup d’entre nous devaient jouir un jour.
Assurément Buonaparte n’est guère aimé, et les mêmes scènes vécues à Brienne se renouvellent à Paris. Cet insulaire farouche, insociable, fronde tout, de son accent rocailleux et blâme « avec un ton tranchant ». Ses professeurs se trouvent rebutés et le considèrent comme « un jeune humoriste ». Sa manière de parler de la Corse les choque. L’un d’eux – M. Valfort – lui dira un jour sévèrement :
— Monsieur, vous êtes élève du Roi, il faut vous en souvenir et modérer votre amour de la Corse qui, après tout, fait partie de la France !
Très sensible aux plaisanteries de ses camarades, il est souvent humilié et blessé – et se l’imagine plus qu’il ne l’est en réalité. Au moindre sourire quelque peu railleur, le jeune Buonaparte fonce, les poings en
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