Bonaparte
intimidé... »
Peu après Fontainebleau, lorsque la lourde diligence doit monter une côte au pas, les deux jeunes gens descendent de voiture. C’est alors que des Mazis voit son compagnon se mettre à courir comme un fou, à sauter et à gesticuler, tout en criant :
— Enfin, je suis libre ! Je suis libre !
III
MONSIEUR LE LIEUTENANT
EN SECOND « FOMENTE »...
Quand j’avais l’honneur d’être lieutenant en second, je déjeunais avec du pain sec, mais je verrouillais ma porte sur ma pauvreté.
N APOLÉON .
L E 5 novembre, à Lyon, Bonaparte et des Mazis manquent le bateau-poste de Valence. En attendant le prochain départ, ils entrent chez un bouquiniste et dépensent sans hésiter ce qui leur reste des cent cinquante-sept livres qui leur ont été remises, à chacun, au départ de l’École. Sans un officier d’artillerie qui a voyagé avec eux depuis Paris, et qui leur ouvre sa bourse, les écervelés auraient dû faire la route à pied.
Le lendemain, les deux lieutenants en second quittent Lyon dès l’aube par le bateau-poste et arrivent le même soir à Valence. Après s’être présentés à leur colonel – M. de Lance – ils se rendent auprès du secrétaire du présidial à l’hôtel de ville qui remet aux deux lieutenants en second le billet de logement suivant :
À Mademoiselle Claudine-Marie Bou,
angle de la Grand-rue et de celle du Croissant,
à Valence (en Dauphiné).
Au nom du Roi :
« Mademoiselle Claudine-Marie Bou, propriétaire du Café-Cercle, est sommée de loger une fois deux lieutenants en second du régiment royal d’artillerie de La Fère et de leur fournir ce que de droit. »
Mlle Bou – une vieille fille qui approche de la cinquantaine – a longtemps fabriqué des boutons en poils de chèvre, avant de tenir avec son père ce Café-Cercle – autrement dit un café littéraire.
L’imberbe et maigriot officier à la voix creuse et sourde, aux longs cheveux plats, fait la conquête de l’hôtesse. Il s’entend fort bien avec elle et loue, pour huit livres et huit sols par mois, une petite chambre située au deuxième étage, dont la fenêtre donne sur la Grand’Rue. Juste en face est située la fameuse Maison des Têtes, datant de la Renaissance, et qui existe encore. Là se trouve le libraire au nom prédestiné de Pierre-Marc Aurel, où Bonaparte se saoule des oeuvres de Rousseau.
— Oh ! Rousseau ! s’écriera-t-il, pourquoi faut-il que tu n’aies vécu que soixante ans ! Dans l’intérêt de la vérité, tu aurais dû être immortel ! Plus tard, il changera d’avis.
Mlle Bou s’occupe du linge du jeune officier, mais c’est à l’hôtel voisin – celui des Trois Pigeons, rue Pérollerie, tenu par M. Gény – qu’il dîne avec des Mazis. En dépit de la bonne chère qui lui est servie, il mange rapidement, adresse peu la parole à ses voisins, dédaigne les jeux qui succèdent au repas et a hâte de rentrer dans sa chambre pour se plonger dans ses livres. On le verra, avec des Mazis, s’adonner à une cure de laitage dont le résultat ne sera guère satisfaisant. À midi, il déjeune également chez Gény, à moins qu’il n’aille acheter deux pâtés à un sol que vend le pâtissier Corriol. Bonaparte n’a que quatre-vingt-treize livres par mois de solde et il lui faut être économe, surtout pour se permettre de satisfaire sa passion : la lecture. Il adressera un jour ce billet, à l’orthographe euphonique, au sieur Barde, libraire de Genève, pour le prier de lui envoyer « les ouvrages sur liste de Corse ouque vous pourriez vous procurer promptement. Jentant votre réponse pour vous envoyer / argent à quoi cela montera. Vous pouvez m’adresser votre lettre à monsieur de Buonaparte, officier d’artillerie au régiment de la Fère, en garnison à Valence. »
Buonaparte a été placé dans la compagnie dite de « M. de Coquebert ». Joseph croit bien faire en écrivant au frère de des Mazis, capitaine au même régiment, pour lui demander d’être le mentor de Napoleone. Buonaparte fort choqué de la recommandation, déclare « qu’il ne sait pas de quoi son frère se mêle et qu’ il n’a pas besoin d’être mis en tutelle ».
Napoleone et des Mazis ne se quittent pas lors de leurs instants de liberté. Un jour, leurs nouveaux camarades les voient avec épouvante enfourcher deux rosses de louage, et, encore revêtus de leur uniforme bleu de l’école, partir bravement afin de se familiariser avec l’équitation. Une
Weitere Kostenlose Bücher