Bonaparte
d’ailleurs cette même année {2} . À peu près à cette époque, Charles est nommé assesseur de la juridiction royale d’Ajaccio. Le traitement qu’il en retire est assez maigre : neuf cents livres. Le père de Napoleone, estimant n’être pas rétribué à sa juste valeur, va désormais faire porter tous ses efforts sur un point capital : que le Royaume se charge de l’éducation gratuite de ses fils et qu’il leur octroie une bourse pour leurs études.
En attendant de devenir boursier du roi, Nabulio est un petit bonhomme déchaîné. À son fils, le roi de Rome, il le dira :
— Paresseux, à ton âge je battais déjà Joseph !
« J’étais querelleur, lutin, avouera-t-il, rien ne m’imposait. Je ne craignais personne, je battais l’un, j’égratignais l’autre. Je me rendais redoutable à tous. Mon frère était celui à qui j’avais le plus souvent à faire. Il était battu, grondé, mordu... Bien m’en prenait d’être alerte, maman Letizia eût réprimé mon humeur belliqueuse, elle n’eût pas souffert mes algarades. Sa tendresse était sévère ; elle punissait le mal ou récompensait le bien indistinctement ; elle nous comptait tout. »
En cette première année du règne de Louis XVI, Nabulio – il est âgé de cinq ans – entre comme externe au pensionnat des soeurs béguines d’Ajaccio, institution installée dans un ancien établissement de Jésuites. C’est une école mixte, et le petit Napoleone, à peine arrivé, tombe, paraît-il, amoureux d’une élève, une douce petite fille prénommée Giacominetta. Mme Letizia sourit, attendrie, et espère que cet « amour » précoce aura un heureux effet sur le caractère coléreux de son fils. Malheureusement – et l’Empereur le dira plus tard – « cet amour excita aussi la jalousie des autres petites filles ». Celles-ci se vengent en se moquant de l’écolier peu soigneux qui laisse tomber ses bas sur ses souliers, et elles lui chantent ce refrain :
Napollione di mezza calzetta
Fa l’amore a Giacominetta.
Jusqu’au jour où Nabulio rageur, se jette sur les petites railleuses et leur administre une correction inoubliable...
Il s’initie à l’alphabet, commence à épeler l’italien et apprend aussi à compter. On le dit surtout doué pour le calcul et capable de résoudre des petits problèmes surprenants pour son âge. Les soeurs béguines en sont stupéfaites et l’ont surnommé : « le Mathématicien ». En récompense, toujours selon la tradition, elles le bourrent de sucreries et de confitures.
Il semble cependant que l’enseignement des béguines ne dut pas être poussé aussi loin que la légende l’affirme. Du moins pour les autres matières. Dans son testament, l’Empereur tracera, en effet, ces mots :
« Vingt mille francs à l’abbé Recco, professeur d’Ajaccio, qui m’a appris à lire ; en cas de mort, à son plus proche héritier... » C’est donc l’abbé Recco qui sera son premier maître. Nabulio, quittant les religieuses, demeurera quatre ans à l’école de l’abbé et ne sera pas, tout d’abord, un élève exceptionnel. Madame Mère précisera même :
— Au début de ses études, Napoléon fut celui de mes enfants qui me donna le moins d’espérances ; il resta longtemps avant d’avoir quelque succès. Quand, plus tard, il reçut, enfin, une bonne attestation de ses maîtres, il me l’apporta avec empressement ; après me l’avoir montrée, il la posa sur une chaise et s’assit dessus avec la fierté d’un triomphateur.
Il est fort mal placé en instruction religieuse. L’abbé, pas plus que les béguines, n’en feront un catholique fervent. Il ne sera point athée – et c’est là tout.
Nabulio est un petit garçon comme les autres. Avec sa soeur Pauline, il s’amuse à imiter la démarche de sa grand-mère Fesch qui, assez courbée, s’appuie en marchant sur une canne. La vieille dame s’en plaint à sa fille Letizia qui prend mal la chose. « Madame, rapportera l’Empereur, bien qu’elle nous aimât beaucoup, ne plaisantait pas, et je vis à ses yeux que mon affaire n’était pas bonne. Pauline ne tarda pas à recevoir la sienne parce que des jupons sont plus faciles à relever qu’une culotte à déboutonner. Le soir, elle essaya sur moi, mais en vain ; je crus en être quitte ! Le lendemain, elle me repoussa, lorsque je fus pour l’embrasser ; enfin je n’y pensais plus, lorsque dans la journée, Madame me dit :
— Napoléon, tu es invité à dîner
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