Bonaparte
la cathédrale, à peine la grand-messe commencée Letizia Buonaparte ressent les premières douleurs. Aidée par sa belle-soeur, Gertruda Paravicini – la soeur de son mari – la jeune femme regagne rapidement sa maison de la toute voisine rue Malerba. Arrivée chez elle – il est près de midi – le temps lui manque pour monter jusqu’à son lit de damas rouge : elle se dirige vers le salon et s’étend sur un canapé recouvert de soie verte – ou « violet-marron » les historiens ne sont point d’accord... – pour y accoucher presque aussitôt, avec l’aide de Gertruda qui fait office de sage-femme, d’un garçon « né coiffé » s’il faut en croire Napoléon.
D’autres affirment que Letizia donna naissance au futur empereur sur le carrelage du salon. Stendhal et Las Cases ont même prétendu que la délivrance eut lieu sur un des « tapis antiques à grandes figures de ces héros de la fable ou de l’Iliade... ». La version est poétique, mais absolument fausse. Mme Letizia a rétabli les choses :
— C’est une fable de le faire naître sur la tête de César, il n’avait pas besoin de cela... Nous n’avions point de tapis dans nos maisons de Corse, et encore moins en été qu’en hiver.
Les oncles, tantes et alliés – ceux, du moins, avec lesquels l’on n’est point en procès – défilent à la Casa Buonaparte pour féliciter Letizia. L’affluence rend la jeune mère toute fière, aussi fière que le jour de son mariage où elle avait été accompagnée, à l’église, par cinquante de ses cousins, tous « beaux hommes et forts ».
— C’est là ce qui forme en Corse un grand parti, expliquera un jour l’Empereur. On ne demande pas combien la jeune fille a de dot, mais combien elle a de cousins.
Une « kyrielle » de parents – le mot est encore de Napoléon – au milieu de laquelle la Madré ne se perdait point. « Et toutes les personnes qui connaissaient Mme Bonaparte, précisera plus tard Mme Junot, savaient qu’une fois sur le chapitre des parentés, on n’en sortait pas facilement... »
En cette même journée, dès que la fête de la Vierge le permet, l’archidiacre Lucien envoie rue Malerba l’abbé Jean-Baptiste Diamante qui va ondoyer, à la Casa même, l’enfant qui vient de naître.
— Quel prénom va-t-on lui donner ?
— Napoleone {1} .
La Madré – elle prononçait Napollioné – nous donne la raison de ce choix étrange :
— Mon oncle Napoleone mourut quelques semaines avant Ponte-Nuovo, mais il était venu à Corte pour combattre. C’est en souvenir de ce héros que j’ai donné son prénom à mon deuxième fils.
Napoléon avait raison de dire :
— Ce nom était doué d’une vertu virile, poétique et redondante.
Mais, durant ses premières années, on l’appellera Nabulio – ou, prononcé à l’italienne : Nabulione. Ses proches, en raison du caractère querelleur de l’enfant, le surnomment : Rabulione – c’est-à-dire « celui qui se mêle de tout ». En dépit de la grosseur de la tête – elle est si forte que, longtemps, l’enfant ne peut garder son équilibre – le bébé Napoleone demeure chétif. Sa figure est pointue et ses lèvres minces. Madame Letizia allaite elle-même le nouveau-né, mais s’adjoint les services d’une robuste campagnarde, Camilla Ilari, au caractère autoritaire, et qui va chérir son nourrisson. À la grand-mère de Napoléon – Mme Buonaparte mère – elle répliquera un jour :
— Allez, Madame, priez le Bon Dieu, mais ne vous mêlez pas de mon petit. Cela ne vous regarde pas ! La mère de Charles prie beaucoup, en effet... « Ma belle-mère était si bonne, dira Mme Letizia, que toutes les fois que je relevais de couches, elle se faisait une obligation d’entendre chaque matin une messe de plus, de sorte qu’elle en arriva au point d’entendre neuf messes par jour... »
Sur les treize enfants que Letizia a mis au monde en dix-neuf années, huit, en effet, survivront, huit enfants qui se partageront un jour des trônes et des principautés. Tous, sauf Lucien – Luciano – qui, en froid avec son frère, devra se contenter d’un titre de prince papal.
Pour ses relevailles, la mère de Nabulio se rend à la cathédrale où elle avait bien failli mettre au monde Napoleone, et elle offre, selon l’usage, un cierge, une pièce de monnaie et un petit pain.
On attendra, pour baptiser le jeune Buonaparte, l’arrivée – au mois de juillet 1771 – d’une petite soeur, qui mourra
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