Bonaparte
bel habit, un beau cheval et paraître à l’extérieur – et ensuite manger du pain chez soi.
« Elle me donnait de l’orgueil et me prêchait la raison », dira son fils. Letizia était surtout d’une avarice sordide dont elle ne parviendra jamais à se défaire – elle le sera encore lorsque l’opulence sera venue. « Elle était par trop parcimonieuse, c’en était ridicule, dira Napoléon ; j’ai été jusqu’à lui offrir des sommes considérables par mois si elle voulait les distribuer. Elle voulait bien les recevoir, mais pourvu, disait-elle, qu’elle fût maîtresse de les garder. Dans le fond, tout cela n’était qu’excès de prévoyance de sa part ; toute sa peur était de se trouver un jour sans rien. Elle avait connu le besoin ; et ces terribles moments ne lui sortaient pas de la pensée. »
Le célèbre « Pourvou que ça doure » semble bien ne pas avoir été inventé...
« Il est juste de dire d’ailleurs, poursuivait l’Empereur, qu’elle donnait beaucoup à ses enfants dans le secret. Du reste, cette même femme à laquelle on eût si difficilement arraché un écu, eût tout donné pour préparer mon retour de l’île d’Elbe ; et après Waterloo elle m’eût remis entre les mains tout ce qu’elle possédait pour aider à rétablir mes affaires : elle me l’a offert. Elle se fût condamnée au pain noir sans murmure. C’est que chez elle le grand l’emportait encore sur le petit : la fierté, la noble ambition marchaient chez elle avant l’avarice. »
Ayant huit enfants à nourrir, elle connut assurément le besoin et c’est très gravement qu’elle fera observer plus tard :
— J’ai sept ou huit souverains qui me retomberont un jour sur les bras.
En attendant que commence l’épopée, les Buonaparte sont sans fortune et Charles espère toujours obtenir des bourses pour ses deux garçons – Joseph et Napoleone. Il lui faut, pour recevoir cette faveur, justifier de « quatre degrés de noblesse ». Le père du futur empereur ne rencontre aucune difficulté pour rassembler ses preuves de bon gentilhomme. Il peut fournir ses armes – sur champ de gueule, deux barres et deux étoiles d’azur, surmontées même d’une couronne comtale. À tant faire !... Charles-Marie expédie également un extrait des lettres de noblesse délivrées à son père Giuseppe le 18 mai 1757 par le grand-duc de Toscane, des lettres patentes signées par l’archevêque de Pise, en date du 30 novembre 1769 – et enfin un arrêt du Conseil judiciaire de la Corse, du 30 septembre 1771, déclarant « la famille Buonaparte noble de noblesse prouvée au-delà de deux cents années ». La famille, s’il faut en croire Napoléon à Sainte-Hélène – aurait même été alliée aux Médicis et aux Orsini.
— Qu’importe, ajoutera-t-il d’ailleurs en haussant les épaules, nous étions de petits gentilshommes de fortune.
Charles croit enfin recevoir les deux bourses et toucher le fruit de ses efforts, lorsque le juge d’armes d’Hozier de Sérigny éprouve le besoin de lui poser un certain nombre de questions :
— Dans les actes que vous soumettez, votre nom est constamment écrit sans être précédé de l’article de. Cependant vous signez : de Buonaparte.
— La République de Gênes, répondra le père de Napoléon, depuis deux cents ans, a donné à mon ancêtre Jérôme le titre de Egregius Hieronimus de Buonaparte. Cet article – de – a été omis, n’étant presque pas d’usage en Italie.
— L’arrêt de noblesse de 1771 donne à votre famille le nom Bonaparte et non Buonaparte.
— L’orthographe de mon nom de famille est Buonaparte.
— Comment faut-il traduire en français le nom de baptême de votre fils, Napoleone en italien ?
Charles Buonaparte comprend-t-il, ou ne veut-il pas comprendre, il répond simplement :
— Le nom Napoleone est italien.
D’Hozier de Sérigny s’incline enfin et les deux aînés du gentilhomme corse deviennent boursiers du roi. Sur la recommandation de M. de Marbeuf, le ministre de la Guerre – le prince de Montbarrey – désigne Napoleone pour être inscrit dans une école militaire, tandis que Joseph, dont on voulait alors faire un ecclésiastique, entrera au séminaire d’Autun.
Charles Buonaparte est nommé député de la noblesse de Corse pour la session de 1778. Il doit rejoindre Versailles et va profiter de ce voyage, dont les frais lui seront remboursés, pour emmener ses deux fils et les laisser en passant au
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