Bonaparte
le trajet séparant la Croix Saint-Hérem du château, les mameluks précèdent l’équipage impérial et c’est dans cette escorte quelque peu impie que Pie VII fait son entrée dans la cour du fer à cheval.
Le canon tonne, les cloches sonnent tandis qu’au bas de l’escalier Louis XV, l’ancien évêque d’Autun : Maurice de Talleyrand-Périgord, s’incline. Puis le Pape est prié d’aller « complimenter » Joséphine.
Le 28 novembre, à deux heures de l’après-midi – 7 frimaire, jour du chou-fleur – le Pape et l’Empereur roulent en carrosse vers Paris. La nuit est tombée – le thermomètre est descendu au-dessous de zéro – lorsque le cortège atteint la barrière d’Italie. Des flocons de neige tourbillonnent... À sept heures moins dix, la voiture s’arrête devant le pavillon de Flore, où demeurera le Pape. Napoléon a bien fait les choses, et la chambre du Saint-Père est la reproduction exacte de celle qu’il occupe, à Rome, au palais de Monte Cavallo.
Le lendemain matin, Pie VII est réveillé par un étrange tumulte. Il prête l’oreille et reconnaît que l’on crie, sur l’air des lampions : « Le Saint-Père ! Le Saint-Père ! Le Saint-Père ! » Ayant passé en hâte « une sorte de camisole blanche », le Pape ouvre sa fenêtre et apparaît au balcon. Une foule immense est là, la foule du 20 juin, du 10 août, des journées de septembre, du 20 prairial... et cette foule, soudain silencieuse, s’agenouille. On perçoit même çà et là des sanglots. D’un geste large, Pie VII donne sa bénédiction. Vingt fois, chaque jour, la scène se reproduit.
Ce même 29 novembre, à l’aide de petites marionnettes, revêtues de papier peint de différentes couleurs que l’on pose sur un plan de Notre-Dame, Isabey explique à chaque participant, sur la table même de l’Empereur, ce qu’il devra faire au cours de la cérémonie. Dans le Salon de Diane, les répétitions se déroulent au moyen d’un plan dessiné à la craie sur le parquet. Parmi les petites marionnettes, l’Empereur est là, haut d’un pouce, avec un manteau pourpre...
— Je vous félicite, dit Napoléon à Isabey, vous avez fait preuve d’esprit.
— Sire, à quoi servirait l’esprit, si ce n’est à nous tirer d’embarras ?
— Je désire que chacune de ces poupées porte, écrit sur son dos, le nom du personnage qu’elle représente. Ceux qui figureront au cortège devront apprendre, de ces poupées, leur place et leur attribution.
Parmi les généraux, les hauts fonctionnaires, les membres des délégations et députations invités au Sacre, nombreux sont ceux qui étaient en place sous la Révolution. On devine leur étonnement en recevant cette lettre : « La divine Providence et les Constitutions de l’Empire ayant placé la dignité impériale héréditaire dans notre famille, nous avons désigné la date du cinquième jour du mois de frimaire prochain pour notre sacre et notre couronnement... Nous vous faisons cette lettre pour que vous ayez à vous trouver à Paris avant le premier du mois de frimaire prochain et à y faire connaître votre arrivée à notre grand maître des Cérémonies. Sur ce nous prions Dieu qu’il vous ait en sa sainte garde. »
La veille du Sacre, il gèle. Le ciel qui, depuis le matin, est couvert, se dégage. Le soleil perce timidement au travers les nuages, lorsque le Sénat prend le chemin des Tuileries pour faire connaître à Napoléon le résultat du plébiscite. C’est un simulacre un peu puéril. Les chiffres ont été falsifiés. Deux millions neuf cent cinquante-neuf mille huit cent quatre-vingt-onze voix « civiles » ont voté pour l’hérédité. Et deux mille cinq cent soixante-sept contre. Le vote de l’armée n’atteint pas plus de cent vingt mille trois cent deux voix. De sa main, Napoléon, imperturbable, raye ce nombre et inscrit quatre cents mille. Il agit de même pour les seize mille deux cent vingt-quatre voix des agences commerciales, qui se transforment en cinquante mille. Ce qui permet – ce premier décembre – au président du Sénat d’annoncer trois millions cinq cent soixante-quatorze mille huit cent quatre-vingt-dix-huit voix pour l’adoption de cette proposition : « La dignité impériale est héréditaire dans la descendance directe, naturelle, légitime et adoptive de Napoléon Bonaparte et dans la descendance directe, naturelle et légitime de Joseph Bonaparte et de Louis Bonaparte. » Le président de
Weitere Kostenlose Bücher