Bonaparte
puisque les « deux moitiés de Dieu » se verraient bientôt : « Sa Majesté en discutera elle-même à Paris avec Sa Sainteté et fera pour la satisfaire tout ce qui sera compatible avec sa position, le bien de l’État et ses devoirs. »
Mais les choses s’envenimèrent brusquement à la suite d’une lettre officielle envoyée de Cologne, par laquelle Napoléon I er priait Sa Sainteté « de donner, au plus éminent degré, le caractère de la religion du sacre et du couronnement du premier empereur des Français. Cette cérémonie acquerra un nouveau lustre lorsqu’elle sera faite par Sa Sainteté elle-même. Elle attirera, sur nous et nos peuples, les bénédictions de Dieu, dont les décrets règlent à sa volonté le sort des empires et des familles. Votre Sainteté connaît les sentiments que je lui porte depuis longtemps, et, par là, Elle doit juger du plaisir que m’offrira cette circonstance de lui en donner de nouvelles preuves ».
Aucune garantie ! Aucune promesse ! Point de tête-à-tête pour régler les problèmes en suspens ! Point d’allusion aux raisons spirituelles militant en faveur de ce déplacement sans précédent ! Il était simplement question « du plaisir » de l’Empereur en « cette circonstance...
— C’est du poison que vous avez apporté là, s’écria le Pape.
Fesch tenta d’excuser son neveu :
— C’est dans un camp, c’est en voiture, c’est dans un moment où Sa Majesté Impériale était absorbée d’affaires que cette lettre a été écrite et expédiée. Pouvait-on se formaliser d’un simple manque de formalité lorsque le gouvernement a déjà manifesté ses intentions indépendamment de cette lettre ?
Napoléon ne s’arrêtait pas un instant à l’hypothèse que le pape puisse se dérober. Le 16 septembre, encore à Cologne, il ordonnait à Fesch : « Le Saint-Père viendra dans ses voitures jusqu’au pied du Mont-Cenis ; arrivé là, mes voitures le prendront ; une députation le recevra à l’extrémité du territoire, et il sera défrayé de tout, du moment qu’il y aura mis le pied. »
Sans enthousiasme – et de guerre lasse – Pie VII céda : il acceptait de se rendre à Paris le 2 décembre. Le lendemain de la Toussaint, le jour des morts, après avoir célébré la messe, le Pape se mit en route comme s’il partait au supplice.
Tandis que Pie VII et sa suite, composée de cent huit personnes, prennent ainsi le chemin du Mont-Cenis, Napoléon est déchiré par un cruel dilemme. Si Joséphine est sacrée par le Pape et couronnée par son impérial époux, pourra-t-elle encore être renvoyée ? L’Empereur ne doit-il pas dès maintenant répudier sa femme et même se remarier ? Napoléon décide de poser franchement, aussi cruel que cela puisse être, la question à la principale intéressée.
Dès les premiers mots de son mari, la créole éclate en sanglots – voilà qui ne facilite pas les choses – Devant les larmes de sa femme, il se sent désarmé :
— Si tu me montres trop d’affliction, si tu ne fais que m’obéir, je sens que je ne serai jamais assez fort pour t’obliger à me quitter ; mais j’avoue que je désire beaucoup que tu saches te résigner à l’intérêt de ma politique, et que, toi-même, tu m’évites tous les embarras de cette pénible situation.
Sur les conseils de Mme Rémusat, Joséphine déclare à Napoléon « qu’elle attendrait des ordres directs pour descendre du trône où on l’avait fait monter ».
Autrement dit, elle acceptait d’être répudiée, mais non d’avoir l’héroïsme de solliciter elle-même son départ. Sans la moindre pudeur, le clan, persuadé que l’Impératrice va quitter les Tuileries, manifeste bruyamment sa joie. Cette fois, c’en est fini de ces « Beauharnais » qui les empêchent de dormir depuis neuf années ! Napoléon, courroucé en apprenant que sa famille a osé « se vanter de l’avoir amené à ses fins », prend la résolution de garder Joséphine et de la faire couronner :
— Ma femme, explique-t-il à Roederer, est une bonne femme, qui ne leur fait point de mal. Elle se contente de faire un peu l’impératrice, d’avoir des diamants, de belles robes, les misères de son âge. Je ne l’ai jamais aimée en aveugle. Si je la fais impératrice, c’est par justice. J’ai un coeur d’homme. Je suis surtout un homme juste. Si j’avais été jeté dans une prison, au lieu de monter au trône, elle aurait partagé mes malheurs. Il est juste
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