Bonaparte
Neufchâteau félicite ensuite l’Empereur d’avoir « fait entrer au port le vaisseau de la République »...
— Oui, sire, répète-t-il, de la République ! Ce mot peut blesser les oreilles d’un souverain ordinaire. Ici le mot est à sa place devant celui qui nous a fait jouir de la chose dans le sens où la chose peut exister chez un grand peuple.
Napoléon répond :
— Je monte au trône où m’ont appelé les voeux unanimes du Sénat, du peuple et de l’armée, le coeur plein du sentiment des grandes destinées de ce peuple que, du milieu des camps, j’ai le premier salué du nom de Grand. Mes descendants garderont longtemps ce trône. Dans les camps, ils seront les premiers soldats de l’armée, sacrifiant leur vie pour la défense de leur pays. Magistrats, ils ne perdront pas de vue que le mépris des lois et l’ébranlement de l’ordre social ne sont que le résultat de la faiblesse et de l’incertitude des princes.
Ce même samedi, Napoléon apprend avec fureur que Joséphine s’était jetée aux pieds du Pape pour lui avouer qu’elle n’était unie que civilement à Bonaparte. Ainsi c’était un sacrilège qui allait être commis le lendemain ! Sa Sainteté s’apprêtait à bénir la concubine de l’Empereur ! Il donnerait la triple onction avec le chrême réservé aux évêques à un couple vivant en état de péché mortel ! Le Pape avertit l’Empereur qu’il repartira sur l’heure, à moins qu’avant demain matin, cette faute grave envers l’Église ne soit réparée. Il veut bien sacrer l’Empereur, mais ne tolérera même pas la présence de Joséphine à Notre-Dame.
Napoléon cède, et la cérémonie du mariage est célébrée de nuit, presque clandestinement. Ce n’est pas le curé de la paroisse des Tuileries – celui de Saint-Germain-l’Auxerrois –, mais Fesch lui-même qui, sans témoins, unit « M. et Mme Bonaparte ». Il y aura ainsi – Napoléon le pense – deux cas éventuels de cassation...
Le lendemain matin, alors que tonnent déjà les canons et que sonnent les cloches, un nouveau chambellan – M. de Thiard – est appelé aux Tuileries afin de prêter serment. Pour l’Empereur, les affaires en cours doivent se poursuivre, même le matin du couronnement... « Je n’avais encore aperçu le Premier consul que dans sa loge, au spectacle, et sans la solennité du moment, qui apparaissent à mon imagination dans toute sa splendeur, racontera M. de Thiard, j’aurais eu de la peine à retenir mon sang-froid : il était déjà revêtu de son pantalon sous pieds en velours blanc parsemé d’abeilles d’or, de sa fraise à la Henri IV en dentelle, et, par-dessus, en guise de robe de chambre, il avait passé son habit de chasseur à cheval !... »
En enlevant sa veste d’uniforme, l’Empereur fait maintenant penser, parait-il, avec son habit de velours rouge et son chapeau emplumé retroussé par devant, à un roi de jeu de cartes. Napoléon convoque également aux Tuileries Raguideau, le notaire de Joséphine qui, on s’en souvient, avait dit à sa cliente, le 8 mars 1795 :
— Ma chère amie, on n’épouse pas un homme qui n’a que la cape et l’épée !
Le matin du Sacre, le tabellion peut contempler l’Empereur dans toute sa splendeur et, stupéfait, il entend Napoléon lui demander – non sans malice et avec orgueil :
— Alors, monsieur Raguideau, n’ai-je que la cape et l’épée ?...
Tous, ce matin-là, interrogent le ciel. À l’Observatoire, le préposé à « l’état de l’air » écrit sur son registre : « Ciel très couvert, vent nord, brouillard, température – 3,3 C. » Va-t-il se mettre à neiger ?
Des milliers d’invités se dirigent vers Notre-Dame, mais, hors les cortèges du Pape, de l’Empereur et de l’Archichancelier, aucun équipage ne peut dépasser le palais de Justice... Et les badauds s’esclaffent en voyant courir vers Notre-Dame, à travers les rues boueuses et sous la bise glaciale, des femmes décolletées retroussant haut leurs traînes et le bas de leurs robes...
Les invités, au milieu d’un désordre indescriptible, se rangent tant bien que mal sur les banquettes, placées dans la nef, perpendiculairement à l’autel. Au fond de l’église, masquant le portail central et obstruant la nef, se trouve un gigantesque échafaudage de carton-pâte où l’on peut lire en lettres d’or les mots : Honneur, Patrie et Napoléon empereur des Français.
C’est le trône impérial.
Tout en haut,
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