Borgia
sur le point de se jeter aux genoux de Béatrix, de lui crier son amour…
– Rassurez-vous, madame, dit-il amèrement, mon épée demeure à votre service. Nous sommes toujours… amis, selon le mot que vous me faites l’honneur d’employer…
– Eh bien ! s’écria-t-elle, puisqu’il en est ainsi, pourquoi refusez-vous ce que vous offre le comte Alma ?
– Madame, dit Ragastens froidement, je suis un soldat d’aventure, et la situation brillante de maître de camp est au-dessus de mes prétentions… Elle comporte des liens qui m’effraient, je l’avoue. J’ai toujours vécu au jour le jour, n’acceptant de maître que ma fantaisie, de guide que mon caprice du moment, respirant au grand air, allant, venant, m’arrêtant et repartant selon mon inspiration… Pardonnez-moi donc de ne pas me rendre à vos instances… Je préfère agir en toute liberté et franchise…
– Mais enfin, vous allez rester à Monteforte ?
– Je l’ignore, madame.
Le mot avait été dit sèchement, presque brutalement. Ragastens continua :
– En tout cas, si je vois que mes services peuvent vous être de quelque utilité, je resterai jusqu’au jour que j’espère très prochain où César, vaincu, sera obligé de reculer… Mais alors, plus rien ne me retiendra en Italie et je rentrerai en France.
– Plus rien ? soupira Primevère.
– Plus rien ! répéta Ragastens.
– Vous ferez selon votre volonté, monsieur.
Ragastens s’inclina profondément et fit un pas pour se retirer. Il avait le cœur plein d’amour, de désespoir et de colère. Primevère le retint d’un geste.
– Excusez-moi, monsieur, dit-elle d’une voix faible. Je voulais aussi vous parler… d’un incident… survenu aujourd’hui…
– Parlez, madame…
– Il s’agit de cette discussion que vous avez eue avec le seigneur Malatesta…
« Voilà donc la vérité, songea-t-il en se mordant les lèvres jusqu’au sang pour ne pas crier son désespoir et sa fureur. C’est Malatesta qu’elle aime… Elle m’a fait venir pour me demander de ne pas me battre ! Elle a peur pour lui ! »
Et il attendit en silence que Primevère s’expliquât. Ce fut d’une voix en apparence exempte d’émotion qu’elle demanda :
– Vous voulez vous battre avec Jean Malatesta ?…
– Mais, madame, vous avez vu que le seigneur Malatesta s’est loyalement excusé… Le duel qu’il me proposait n’a donc plus raison d’être.
– Je sais. Mais vous devez vous battre… Chevalier, pourquoi me cachez-vous la vérité ?… Moi, je ne vous cache pas que j’ai entendu ce que Jean Malatesta vous disait dans l’embrasure de la fenêtre…
Un éclair d’espoir illumina l’esprit de Ragastens.
– Vous avez entendu… tout ?
Une rougeur soudaine empourpra le visage de Primevère. Mais il faisait nuit…
– J’ai entendu seulement que Jean Malatesta vous donnait rendez-vous pour demain soir au rocher de la Tête. Je n’ai pas voulu en entendre davantage. J’avais compris.
– C’est vrai : M. Malatesta m’a provoqué pour demain…
– Et si je vous demandais…
Elle s’arrêta, tourmentée à cette minute par la pire torture qu’elle eût subie de sa vie.
– Que voulez-vous me demander, madame ? dit froidement Ragastens.
– De ne pas vous battre ! répondit-elle dans un souffle. Si vous lui faisiez comprendre que ni lui ni vous n’avez le droit, en ce moment, de verser votre sang… je suis sûre… qu’il renoncerait…
– Ah ! Madame, éclata Ragastens, vos sentiments vous emportent ! Vous me demandez de reculer, de m’humilier !… Cela ne sera pas !… Mais, soyez tranquille, madame, ajouta-t-il tout à coup avec une sorte de râle, dans ce duel, ce n’est pas Malatesta qui mourra… Adieu, madame !…
Et il s’enfuit égaré, fou de douleur et de jalousie. Primevère demeura une seconde frappée de stupeur, comprenant enfin la pensée du chevalier. Alors, sans savoir ce qu’elle faisait, elle se leva, tendit ses bras et appela :
– Ragastens !…
Mais le chevalier était déjà loin. Il n’entendit pas. Primevère retomba sur son banc et éclata en sanglots.
Soudain, des lumières se montrèrent dans le parc. Des voix retentirent. On l’appelait… Primevère reconnut parmi ces voix celle du prince Manfredi. Quelques instants plus tard, le prince Manfredi apparut devant elle.
– Enfin, c’est vous, s’écria le vieillard. C’est vous, chère Béatrix…
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