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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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Glide
Church. Là encore, ils ont su, à défaut de diminuer les stocks de ses livres,
lui procurer une audience.
    Le succès de La Pêche à la truite et de Sucre de
pastèque apparut, pour la plupart des écrivains de North Beach, comme une
aberration. Comme le souligne Michael McLure, « pour les écrivains du
coin, il incarnait le vilain petit canard transformé en cygne ».
    En 1968, un écrivain me confia qu’au début des années 60
Richard avait proposé à tout le monde de jeter un œil sur ses manuscrits, mais
que très peu s’étaient vraiment donné la peine de les lire. Plus tard, des
écrivains étrangers à la Californie accusèrent Brautigan d’avoir écrit ses
livres en vitesse pour profiter de la vague hippie qui faisait rage. Alors
qu’en réalité ses quatre premiers romans avaient été achevés avant 1967, année
où les médias du pays entier s’emparèrent du phénomène des « Flowers
Children ».
    Deux liens évidents rapprochaient Brautigan de la population
du Haight : son image et sa pauvreté. Son caban de marin à la dérive, sa
veste marrante, ornée de badges fantaisistes, et son chapeau gris élimé,
c’était une des panoplies qu’on pouvait voir déambuler dans Haight Street et
les alentours. Sa présence aux repas gratuits des Diggers dans Panhandle ne
faisait que renforcer cette image.
    Pour tous ceux qui ont lu ses livres, Brautigan jouait sur
un double registre culturel que bon nombre de gens connaissaient : la vie
des classes sociales les plus défavorisées et le théâtre d’opérations des
zonards de Californie. Son charme résidait dans le fait que les fameux symboles
de la culture étaient présentés dans une perspective « maison »,
comme dans La Pêche à la truite, où il imagine Léonard de Vinci en
Amérique, en train d’inventer un appât qu’il baptise « la Cène ». La
grande force de Brautigan fut d’élaborer une vision nouvelle à partir de
matériaux à portée de main. Peu importait qu’ils donnent l’impression d’être à
une seule dimension, ou banals ou fantastiques. Peu importait leur caractère
éphémère, ou insignifiant, selon les critères culturels en vigueur. Voilà
exactement ce que tout le monde recherchait sur le Haight : trouver une
façon de recommencer une vie régie par d’autres critères.
    Si, à la fin de l’automne 1966, la carrière de Brautigan
était sur le point de passer à une vitesse supérieure, la vie de tous les
jours, dans le quartier de Haight Street, se retrouvait, elle, coincée en plein
embouteillage. Dans son récit The Haight Ashbury, Charles Perry décrit
ainsi la situation :
    « Au début, les nouveaux arrivants sur Haight Street ne
causaient pas de problème. Les anciens leur refilaient les bons tuyaux. Ils
leur montraient comment se débrouiller dans le trafic de la dope, ou bien leur
indiquaient d’autres combines, les laissant expérimenter à leur manière cette
vie déstructurée. C’est en octobre que l’on enregistra une rupture dans ce
schéma d’assimilation. Les jeunes n’arrivaient plus à survivre, ni même à se
dégotter un endroit pour crécher. Certains d’entre eux pionçaient dans le parc
et s’abonnaient aux repas des Diggers, dont la clientèle grimpa rapidement de
cinquante à une centaine. Les autres n’eurent plus qu’à faire la manche dans la
rue. »
    Les habitudes de consommation de drogue se modifiaient
également. Je me souviens de cette fois où je faisais la queue dans un
supermarché, en haut de Haight Street. Je me tenais juste derrière une jeune
mère de famille sapée bien comme il faut et de sa petite fille. C’est en
regardant machinalement par-dessus son épaule que j’ai lu la liste de ses
commissions. Nourriture, rendez-vous, etc., et, dans la colonne du dimanche, en
lettres majuscules soulignées de trois traits : ACIDE.
    Dans mon entourage, on consommait des drogues, cela
participait d’une sorte de rituel régulier. Nous aimions aller danser le
week-end au Fillmore, mais, habituellement, notre consommation quotidienne s’en
tenait à la marijuana. Et encore. Peu de gens fumaient vraiment tous les jours.
Tout cela changea complètement. Dans la rue, on croisait des mecs défoncés du
matin au soir. Ils faisaient la manche et venaient se greffer en parasites sur
le flot des jeunes visiteurs encore innocents.
    Quand La Pêche à la truite fut publiée en 1967, sa
construction en patchwork, ses thèmes pastoraux aux relents de

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