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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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paradis perdu et
ses étranges voix loufoques tendirent un miroir aux événements qui se
déroulaient sur le Haight.
    L’engagement actif de Brautigan aux côtés des Diggers lui
assura de facto le statut du poète-élu-de-la-rue. Les médias pouvaient enfin
disposer de quelque chose d’écrit. Le roman fut promu au rang d’emblème,
d’explication et de cible.
    Les médias fondirent sur le livre, ce qui encouragea une
bonne partie des figures littéraires à l’assimiler à un de ces écrits rédigés à
la va-vite, dans la veine des poèmes imprimés par les Diggers, comme par
exemple « Des fleurs pour ceux que tu aimes », sur le thème : où
trouver une clinique pour les MST. Suite à la réaction enthousiaste du public à La Pêche à la truite, le réflexe immédiat de Richard fut de se montrer plus
susceptible encore pour la rédaction de ses textes.
    Écrire de la fiction, qu’il s’agisse de nouvelles ou de
romans, constitue une tâche difficile, et travailler dur n’a rien de
gratifiant. Les deux domaines sont difficiles à concilier dans l’absolu et le
public, lui, n’imagine pas qu’ils puissent se fondre harmonieusement. Et
lorsque, de plus, le produit artistique est comique, on ne songe pas aux heures
de travail, aux révisions incessantes, car, pour le public, le rire coule de
source. Mais, tous les auteurs vous le diront, écrire sur le mode comique n’est
pas tâche facile, et lorsque la comédie se teinte de métaphysique, on préfère
ignorer cette composante et rire, tout simplement. Cela afflige
particulièrement les auteurs comiques et les conduit à se plaindre d’être
incompris.
    J’ai noté un autre changement dans le comportement de
Richard vis-à-vis des lectures en public. Il avait toujours su lire avec brio
ses propres textes. Mais, avant que n’éclate sa renommée sur le Haight, il
reconnaissait en privé que ses lectures revenaient à prêcher en terrain
conquis, auprès d’une audience peu nombreuse de mordus de poésie. Il jugeait
cet effort inutile, jusqu’à ce que ses relations avec les Diggers lui ouvrent
un public de plus en plus large.
    Du coup, chaque lecture, chaque publication était devenue
une affaire sérieuse, et son appartement témoignait de ce changement. Le long
couloir sombre de l’entrée n’offrait plus au regard les œuvres d’art qu’il
exhibait avant. Des posters annonçaient ses apparitions en public, des
affiches, des couvertures de livres, feuilles ronéotypées et lettres. Œuvres
d’art envoyées par les fans… Chaque nouvelle publication avait sa place
d’honneur devant les vieux bocaux en verre et les babioles qui dataient de son
enfance dans le Nord-Ouest. Il m’arrivait souvent de voir ces présents comme
des offrandes aux démons qu’il avait nourris.
    Au cours de mes visites à San Francisco durant l’année 1967,
Richard m’a remis d’autres manuscrits non encore publiés. Un après-midi, il m’a
donné à lire Sucre de pastèque pendant qu’il s’absentait pour faire les
courses. J’y consacrai une demi-heure, déconcerté, à me demander ce qu’il avait
voulu faire. Pourquoi avait-il écrit cela ? Ce roman n’a jamais figuré
parmi mes favoris. Lorsqu’il est revenu, je suis parvenu tant bien que mal à
faire dévier la conversation. J’ai évoqué sa technique et ai embrayé sur son
utilisation d’un vocabulaire minimal. Ce qui l’a incité à s’expliquer sur sa
manière d’écrire la fiction : c’est l’une des rares fois où il a abordé
cette question.
    Sa méthode de composition était à la fois excentrique et
rigoureuse :
    « Je ne prends pas de notes, je n’ai pas de plan. Je ne
tiens pas non plus de journal. Quoi qu’il puisse m’arriver, et quelles que
soient les idées qui puissent me venir, il faut que je laisse macérer avant de
me mettre à écrire. Ensuite, si tout cela remonte à la surface, parfait, je me
mets à taper très vite, et je viens à bout du premier brouillon aussi vite que
possible. »
    A bien y réfléchir, les bibliothèques « Manuscrits non
publiés » d’Avortement et l’« Usine oubliée » de Sucre
de pastèque semblent révéler cette reconnaissance de la précarité de la
destinée littéraire. Et qu’il ait utilisé le terme de « macération »
pour sa mémoire tend à montrer qu’il la considérait parfois comme un obstacle à
l’écriture, une barrière à franchir.
    Cela pourrait expliquer son comportement schizophrène
vis-à-vis de

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