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Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Brautigan, Un Rêveur à Babylone

Titel: Brautigan, Un Rêveur à Babylone Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Keith Abott
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n’aime pas tirer à la carabine en présence de
quelqu’un d’autre. J’ai eu un accident quand j’étais plus jeune. Par contre,
peut-être pourrais-tu emmener ma fille avec toi. Personne ne lui a jamais
appris à tenir un fusil, faudrait qu’elle apprenne. »
    « Oh ! certainement », lui ai-je répondu,
déconcerté par son rapide changement d’humeur.
    J’ai ajouté que si Ianthe rappliquait, je serais heureux de
l’initier.
    Richard est allé chercher une boîte de munitions dans la
cabane. Il l’a posée sur la table. Je l’ai prise, et je suis sorti par la porte
de derrière. J’ai traversé l’herbe haute du gazon et j’ai emprunté le chemin
derrière la grange.
    Posté à la fenêtre, Richard me suivait du regard, les traits
du visage empreints d’une curieuse expression. Je me suis rendu compte alors
que j’avais oublié de lui demander à quel endroit il se trouverait pendant ce
temps. Il valait mieux qu’il m’appelle plutôt que de venir me chercher. Je
tenais à écarter tout risque d’accident.
    Tout en disposant les boîtes de conserve derrière la grange,
je me suis dit qu’il y avait là, outre son humeur, quelque chose de nouveau.
Peut-être était-ce tout simplement lié au fait que je n’avais jusqu’à ce jour
jamais vu Richard en présence d’armes.
    Au bout d’un moment, j’ai cessé de tirer.
    J’étais obnubilé par ma propre peur de voir surgir quelqu’un
dans mon champ de tir. Mais non, je m’égarais, c’est Richard qui était censé
éprouver cette peur, pas moi. Il m’avait transmis sa paranoïa.
    Puis j’ai repensé à l’expression sur son visage lorsqu’il
était sur le perron. L’expression ravie et coupable du petit garçon qui
s’apprête à entreprendre quelque chose de risqué par procuration, en envoyant
son pote au casse-pipes. En étudiant plus précisément son regard, j’en ai
conclu que c’était comme s’il avait voulu que ce soit moi qui aie l’accident.
Ces pensées m’ont vraiment poursuivi. J’ai rapporté le fusil à la maison, je
l’ai nettoyé et l’ai mis en évidence dans un coin de la cuisine, afin qu’il le
remarque immédiatement en entrant. Bien plus tard, en ruminant cet incident,
j’ai compris ce qui m’avait ennuyé : pas une seule fois Richard ne m’avait
directement proposé la carabine ou les munitions, presque comme si cela avait
pu l’acquitter à l’avance de tout reproche.
    Par la suite, je n’ai plus jamais tiré à la carabine, et
Richard n’y a plus fait allusion. Mais, lorsqu’il l’a sortie de la cabane ce
soir-là, il l’a soupesée, et m’a jeté un regard lourd de complicité et de
culpabilité qui m’a profondément dérangé. J’ai eu l’impression de surprendre
quelque chose de très malsain chez mon ami, quelque chose de terrifiant et de
si adolescent que jamais je n’aurais dû en être le témoin.
    Les bâtiments du ranch consistaient en une grande bâtisse à
un seul étage, une grange et un atelier, dont Richard avait fait sa chambre à
coucher. Il s’était également construit un bureau dans le grenier de la grange
orienté à l’est, face à la forêt du Parc national de Gallatin. Isolée du
bâtiment principal et du téléphone, avec une vue à vous couper le souffle pour
écrire. J’ai remarqué qu’elle était vide. On n’y trouvait que quelques livres
et des papiers, une machine à écrire et des fournitures de bureau. La raison en
était sans doute que Richard venait de terminer son dernier roman.
    Deux ans après sa mort, j’appris par Ianthe que ladite
« salle d’écriture » s’était avérée quasiment inutile à cause des
millions de mouches qui avaient élu domicile dans la grange. Elle était là pour
être visitée, mais Richard abattait l’essentiel de son travail dans la cabane.
    Après avoir fait le tour du site, je dus me rendre à
l’évidence : Richard n’avait pas exagéré en ce qui concernait l’état du
ranch. La propriété était vraiment mal entretenue. Bien qu’il ne possédât pas
de bétail, il avait loué des près. Il fallait réparer les barrières et faucher
l’herbe dans les champs. Il fallait drainer les canaux d’irrigation afin d’y
faire circuler l’eau de nouveau. La loi stipulait que les terres reviendraient
aux voisins s’il négligeait l’irrigation trop longtemps.
    Honnis sa volonté de conserver ses droits, Richard n’avait
pas la moindre idée de ce qui lui incombait en matière d’entretien. Il

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