Byzance

qu’on maintenait sa tête sous… Il était remonté une fois, haletant, les yeux en feu. Le souvenir vola près d’elle comme une comète noire. Elle sentit un froid intérieur, la perte de son âme immortelle. Mais c’étaient vraiment des mensonges dans le contexte de son amour pour Michel et pour son peuple. Même Joannès le savait. Joannès. L’homme qui brûlait encore son âme lui avait été arraché par l’être qu’elle trouvait plus repoussant que tous : Joannès.
    — Maîtresse ? demanda Maria. Est-ce que ma mélancolie est contagieuse ?
    — Je réfléchissais, répondit Zoé.
    Les plis de son front indiquaient qu’elle continuait de réfléchir.
    — Le Tauro-Scythe. Le komès de ma Garde varègue personnelle. Haraldr je-ne-sais-quoi. J’ai l’impression qu’ils ont tous le même nom de famille, ils ont tous eu probablement le même père. Tu sais qui je veux dire : le massacreur de pirates… Nous l’avons grossièrement négligé. Nous nous sommes enfermées avec nos petits oiseaux habilleurs comme Anna et cet horrible helléniste qui se propose de mettre à sac la bibliothèque d’Antioche.
    Maria baissa les yeux vers le tapis bleu. Elle n’avait pas rêvé du Tauro-Scythe messager de mort depuis qu’elles avaient quitté la Ville impériale. Plusieurs fois par jour, elle l’apercevait par les rideaux de la voiture, et elle avait fini par ne voir en lui qu’un autre Barbare de haute taille. Mais oserait-elle de nouveau regarder dans ses yeux emplis de mort ? Elle comprit qu’elle avait vu sa condamnation dans ses iris de glace le soir même de leur rencontre chez Nicéphore Argyros. Pendant un instant elle désira vivre cette tragédie au fond d’elle-même, cependant cet homme n’était pas un pantin sans danger, comme Giorgios, mais un sauvage meurtrier de Thulé. Elle avait menti à sa tante Théodora. Ici, dans cette immensité déserte, elle s’était aperçue qu’elle avait peur de la mort. Toute sa vie avait été orientée par sa peur des ténèbres inéluctables de la mort.
    — Est-ce sage ? demanda-t-elle. Ne sommes-nous pas convaincues que c’est un informateur de Joannès ?
    — C’est ce que Siméon m’assure, répondit Zoé avec une indifférence parfaite.
    Elle n’avait pas besoin d’autres preuves. Son chambellan Siméon, serviteur de son oncle Basile le Bulgaroctone pendant des décennies, avait tellement d’oreilles amies au sein du Palais qu’il savait chaque fois qu’une souris couinait dans le Triclinium au milieu de la nuit.
    — Il dit que Joannès lui-même a recommandé les Tauro-Scythes de cet Haraldr auprès du Consistoire sacré. Et plus tard, cet Haraldr l’a rencontré seul à seul au Néorion.
    En entendant le nom de cette tour sinistre, Maria se signa rapidement.
    — Dans ce cas, nous nous sommes montrées prudentes en l’excluant de notre présence jusqu’ici. Pourquoi inviterions-nous ce serpent dans notre cage dorée ?
    Zoé fronça ses sourcils moites de transpiration.
    — En dehors de Siméon, de Théodore, de Léo et de toi, ma chérie, je suis entourée par des espions de Joannès comme un poissonnier peut l’être par du poisson puant. D’ailleurs je ne suggère pas de découvrir nos seins métaphoriques à cette menace cyclopéenne Haraldr je-ne-sais-quoi, ni même nos poitrines physiques. C’est simplement qu’il y a dans cette race un côté primitif, une certaine… vigueur que je trouve… séduisante. Nous bavarderons avec lui, nous l’autoriserons peut-être à partager une coupe avec nous, nous l’encouragerons à nous parler de son pays perpétuellement glacé – et de bien d’autres choses que nous trouverons peut-être intéressantes, ajouta-t-elle avec un sourire malicieux.
    Maria lui offrit son propre sourire ensorceleur pour la première fois depuis que le soleil du matin avait brillé sur les cimes enneigées du Taurus. Zoé, se rappela-t-elle, était la nièce favorite de Basile le Bulgaroctone, tandis que le père de Zoé n’était qu’un sophiste, dont la seule ambition, pendant les trois années providentiellement courtes de son règne, avait été de vider complètement les trésors que son frère aîné avait amassés en un glorieux demi-siècle de conquêtes sans merci. Zoé avait hérité de la force et de la ruse du Bulgaroctone. Oui, la soirée serait amusante après tout. Avec sa chère impératrice, elle donnerait au Tauro-Scythe à la solde de Joannès tous les