Byzance

la première merveille qui me prive entièrement de la faculté de parler.
    Les lèvres de l’impératrice s’écartèrent et ses dents de perle exprimèrent son enchantement. Elle se redressa et plaça ses bras autour de ses genoux ; ses longs doigts blancs caressèrent les aigles d’or de sa robe de soie. Maria s’accouda sur un coussin marron et baissa les yeux.
    Zoé fit un simple signe de tête et un eunuque en robe blanche passa entre les divans avec des gobelets d’argent sur un plateau. Le vin était fort et parfumé ; il parut changer de goût dans la bouche de Haraldr, et il y laissa une douceur qui se dissolvait sous sa langue. Un nectar des dieux.
    — De quel endroit de Thulé venez-vous, Haraldr ? demanda Zoé, comme si elle s’intéressait vraiment à la question.
    — De Norvège.
    Zoé inclina la tête.
    — De Norvège. Et avant d’obtenir tant d’honneurs des Romains, qui étiez-vous ?
    Haraldr se figea, sur la défensive. Mais presque aussitôt, il comprit que l’impératrice ne posait une question que pour en venir à une autre.
    — J’étais à la cour du grand-prince Iaroslav.
    Le rire de Maria résonna, aussi clair que du verre qui se brise. Elle adressa plusieurs phrases à Zoé ; Haraldr distingua le mot serviteur trois fois. On le considérait comme le serviteur d’un serviteur ; apparemment les Romains faisaient peu de cas du grand-prince, et encore moins de son ancien collecteur d’octrois. Les oreilles de Haraldr tintèrent.
    On servit d’autre vin. Zoé parla entre deux gorgées.
    — J’ai entendu tellement de contes sur vous, les Tauro-Scythes. Est-il vrai qu’un homme chez vous peut avoir plusieurs femmes ?
    Haraldr rougit de vin et d’embarras. Il essaya de se redresser, mais les coussins de duvet cédèrent et le firent prisonnier comme s’il se débattait dans une toile d’araignée.
    — Pas ceux qui croient en Kristr… en Christ. Les païens, parfois.
    Les yeux de Zoé continuèrent de le scruter, comme si elle n’en croyait rien.
    — Oui. J’ai déjà vu certains d’entre vous qui portent des amulettes consacrées à un dieu païen, n’est-ce pas un taureau ?
    Haraldr resta un instant sans voix, puis il comprit. De nombreux païens du Nord portaient le marteau de Thor dont le nom ressemble à taureau. Il l’expliqua à l’impératrice.
    Zoé se lassa soudain de ces préliminaires. Elle baissa la voix.
    — J’ai entendu dire que les adorateurs de ce dieu Thor prennent une femme et ont des rapports avec elle devant une foule entière. Et il arrive qu’un homme grimpe sur sa catin pendant qu’il joue aux dés avec ses amis.
    Le visage de Haraldr était brûlant de honte. L’impératrice mettait-elle sa modestie à l’épreuve ? Puis il se souvint de la scène dans la pièce : elle roulait par terre avec son amant. Et Hakon l’avait traitée de putain.
    Maria s’adressa de nouveau à Zoé en aparté. Haraldr devina que c’était une plaisanterie obscène, mais ne comprit aucun mot à part âne . Il lança à Maria un regard dur. Pour qui se prenait-elle, cette dame de compagnie présomptueuse, alors qu’il était le roi légitime de Norvège ? Odin emplit sa gorge d’une voix qui tentait le destin ; l’impératrice n’avait-elle pas demandé de l’audace ?
    — Je suis certain. Votre Majesté impériale, que si un Romain pouvait nous observer en train de faire l’amour, il ne trouverait pas nos habitudes différentes des siennes. À moins bien entendu que ses propres pratiques soient aussi curieuses que celles que vous venez de décrire.
    Zoé lança à Maria un regard malicieux, et le rose monta aux joues de la dame de compagnie. « Ce Barbare ne manque pas d’adresse », songea Zoé.
    — Maria assure que vous êtes le signe avant-coureur de notre destruction. Je me suis souvent demandé pourquoi mon peuple éprouve une crainte si démesurée des hommes aux cheveux blonds. Bien entendu, saint André le Fou a prophétisé que vous provoqueriez notre ruine. Et cet oracle semble présent à chaque réunion du Saint Consistoire, bien que Dieu ait reçu la digne âme du saint homme il y a presque cinq cents ans. Mais comme vous êtes de la race blonde et que saint André ne l’était pas, pouvons-nous savoir si vous êtes vraiment un agent de cette infortune ?
    Le cœur de Haraldr se serra, mais il était certain que l’impératrice ne cherchait pas à connaître sa véritable identité. Où voulait-elle en