Byzance
promène d’un air dégagé devant la boutique du marchand, examine pendant des heures, pendant des jours les étalages des marchands voisins. Il étudie leurs marchandises. Il loue la qualité de leurs produits. Puis, le sac déjà plein d’articles qu’il a achetés ailleurs, il entre comme par hasard et s’arrête pour regarder ici et là parmi les objets qui entourent le trésor convoité, demande le prix de ceci et de cela, puis sans avoir l’air d’y toucher, il pose sa question. « Et celui-ci ? » Ensuite, bien entendu, il marchande comme si ce trésor n’était que de la crotte sèche à brûler. Comment pourrait-il payer un tel prix ! etc. Bientôt, le marchand est tellement convaincu qu’il ferait bien de se débarrasser de cet article sans prix qu’il le donne presque pour rien. Voici comment je vois les choses : cette Maria est un acheteur avisé qui te joue la comédie. À ton tour maintenant de lui rendre la pareille.
— C’est remarquable, Halldor, avoua Haraldr.
Jamais il ne lui était venu à l’esprit qu’il fallait négocier avec une femme qu’on espérait serrer dans ses bras aussi fermement qu’avec un homme d’affaires. L’acheteur avisé, vraiment ! La prochaine fois qu’il verrait Maria, il ne lancerait pas un seul regard aux marchandises de sa boutique.
* *
*
— Haraldr Nordbrikt ! Bien sûr ! Haraldr Nordbrikt !
Constantin, le stratège d’Antioche, bondit littéralement de derrière sa table incrustée d’ivoire. C’était un eunuque imberbe comme son frère Joannès, mais le gigantisme grotesque des traits du moine lui avait été épargné. En fait, Constantin ressemblait davantage à l’empereur lui-même. Mais quand il se rapprocha, Haraldr remarqua une pellicule de transpiration nerveuse sur le front et la lèvre supérieure du stratège, et il se demanda si cet homme n’était pas hanté par son frère au point qu’il était saisi d’angoisse en présence de quelqu’un qui apportait simplement une lettre de lui.
— Bienvenue, bienvenue, bienvenue ! Mon frère Joannès m’a prévenu de votre arrivée, mais votre renommée a déjà commencé à se répandre dans ma ville. Nous sommes littéralement sous l’épée des Sarrasins ici, donc votre efficacité à exterminer les hérétiques est particulièrement appréciée dans la belle Antioche.
Les mains de Constantin s’agitèrent malgré lui et il s’en voulut. « Mère de Dieu, quel brigand monstrueux, se dit-il, mais quelle allure ! La cicatrice au-dessus de son œil lui donne un air sinistre. C’est à coup sûr le genre de brigand que mon frère engage à sa solde. »
— Merci, stratège, répondit Haraldr en grec (il avait spécialement préparé ce discours). Je désire… j’espère avoir l’occasion de bien vous servir… avec autant d’application… que je sers votre frère, l’orphanotrophe Joannès et… notre Père. Puis-je vous… remettre ceci.
Haraldr tendit à Constantin la lettre roulée et scellée. Le stratège remercia Haraldr et revint s’asseoir derrière son bureau avant de briser le sceau du document. « Je me demande si mon frère omniscient sait que sa brute a acquis le pouvoir de parler, songea-t-il en arrachant le plomb du ruban. L’ambition de Joannès n’est-elle pas en train de le rendre insouciant ? Et s’il met le cap sur une mauvaise destination, quelle sera notre fin à tous ? » Il déroula la lettre, l’appréhension lui nouait déjà l’estomac.
Haraldr observa attentivement Constantin pendant qu’il lisait. Kristr ! Pendant un instant, il se demanda si quelqu’un, caché sous la table, n’avait pas lancé un coup de couteau dans l’aine du stratège ; il était devenu soudain livide. Haraldr en eut lui-même la chair de poule. Joannès s’était-il montré entièrement sincère ? Ce n’était certainement pas une simple lettre amicale d’introduction. N’était-elle pas beaucoup trop longue pour ce propos ? D’un autre côté, pourquoi Joannès n’aurait-il pas mis d’autres nouvelles dans la lettre ? Et peut-être ces nouvelles n’étaient-elles pas bonnes. Mais la réaction du stratège était des plus curieuses, et il semblait avoir du mal à se ressaisir. Cela ne contribua pas à dissiper les doutes de Haraldr sur la bonne foi de Joannès.
Constantin posa la lettre, les mains tremblantes. Paralysé par le choc, il n’avait pas pu la terminer. Et il n’en lirait pas davantage devant cette brute. Il se
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