Byzance
c’était le summum de l’élégance. Un des eunuques de Constantin se précipita pour arranger les coussins de soie dans le dos de Haraldr. Celui-ci regarda les couteaux et les fourchettes d’argent brillant posés devant lui ; après s’être exercé pendant des mois avec ces instruments absurdes, il savait s’en servir aussi bien que d’une hache et d’une épée. « Et après tout, se rappela-t-il, ce sont en un sens les armes des Romains. »
Le jeune homme qui s’avança à côté de Constantin ressemblait trait pour trait à l’empereur. En tout cas au premier regard, mais son torse était moins robuste et ses traits plus délicats. De toute manière, un très beau jeune homme. Constantin présenta le nouveau venu à Haraldr.
— Voici mon neveu Michel Kalaphatès. Michel, vous avez l’honneur de rencontrer le célèbre massacreur des Sarrasins, Haraldr Nordbrikt.
Haraldr se leva et s’inclina. Michel parut sincèrement ravi et ses yeux sombres brillèrent.
— Messire, je suis votre serviteur, dit-il d’une voix élégante mais qui tremblait légèrement. Ce sera pour moi un honneur d’exaucer toute requête que vous pourrez formuler, que ce soit pour la plus petite chose ou la plus grande. Et même s’il n’y a rien que je puisse faire pour un homme aussi plein de ressources, comme le prouvent vos exploits, j’espère avoir le bonheur de bavarder avec vous avant que vous quittiez notre ville.
Il s’inclina et prit sa place. Haraldr se souvint que Joannès s’était plaint du manque d’ambition de son neveu, mais Haraldr songea aussi que l’on avait dit la même chose de lui-même peu de temps auparavant, et il éprouva une affinité instinctive pour le jeune Michel.
Cependant Constantin avait commencé à discuter d’un ton animé avec l’eunuque qu’il appelait Basile ; il se demandait quand l’impératrice et ses dames apparaîtraient. Haraldr compta les places vides ; l’impératrice prendrait manifestement le divan décoré de pourpre au bout de la table ; deux dames de compagnie s’assiéraient entre Haraldr et l’impératrice, une autre juste en face de lui. Haraldr craignait que Maria ne prît le siège proche du sien : il ne pourrait pas passer devant sa boutique sans jeter un seul regard à ses marchandises. Constantin se rembrunit involontairement, puis son visage s’éclaira. Il se leva. Il souriait et transpirait.
— Stratège Mélétios Attaliétès, c’est pour nous un honneur !
Attaliétès fit un signe de la main, comme s’il chassait une mouche lente et stupide. Il s’installa d’un air languide sur le divan en face de celui de Constantin. Haraldr remarqua, surpris, que la tunique bordée d’or d’Attaliétès était presque aussi pourpre qu’une robe impériale. Tous les autres étaient en blanc. Était-ce le signe d’un lien de sang avec la famille impériale ? Ou bien simple effronterie ? Attaliétès fit le signe de tête le plus imperceptible dans la direction de Haraldr ; les petites narines de son nez court frémirent légèrement puis se fermèrent comme pour chasser une odeur désagréable. Il se retourna vers Constantin et parla dans une langue plus onctueuse, plus impérieuse et plus fleurie que même celle de Siméon. Haraldr entendit nettement barbare, bien sûr, et une allusion à la vulgarité et au mauvais goût. Constantin parut interdit ; son front se couvrit de grosses perles et ses joues imberbes rougirent.
— Le dynatoï veut savoir pourquoi vous êtes assis à sa table, murmura Grégori. Il dit également qu’il est vulgaire de donner un spectacle avant le dîner. Il dit que par déférence à Sa Majesté impériale, il subira cependant les affronts au bon goût et restera à la table.
La musique de l’orgue retentit. C’était le signal. Comme un énorme vol d’oiseaux blancs, les invités en robe de neige se levèrent et attendirent. Les larges portes de bronze du fond de la pièce s’écartèrent, et le cri rituel retentit.
— Entrez, impératrice des Romains !
La coupole renvoya en écho ces paroles déférentes, et Haraldr se calma en se souvenant qu’il avait dîné à la table d’un roi pendant presque toute sa vie.
— Entrez, splendeur de la couronne et protégée de Dieu ! Entrez, gloire née dans la pourpre ! Déversez votre lumière sur vos esclaves !
Les chambellans en robe blanche, conduits par le frêle Siméon, précédèrent les dames de compagnie en toilettes
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