Byzance
domestique soit magnifiquement… résistant. Il a tellement de maîtres à servir que ses courses sont sans fin, et il est fort dommage que ceux pour qui il travaille avec tant de diligence ne soient jamais satisfaits. Je prie souvent pour lui. N’est-ce pas, ma chère Anna ?
Attaliétès effleura sa bouche avec sa serviette de dentelle.
— Je suis certain que c’est d’un grand réconfort pour la jeune fille. Je sais avec quelle dévotion vous priez pour la santé de votre défunt mari. Puisse le Christ Roi…
— Stratège, votre langue n’est pas si bien pendue que je ne sois capable de vous la faire arracher.
La voix de Zoé perça le cœur de tous ceux qui l’entendirent. Haraldr n’en croyait pas ses oreilles. Telle était donc l’impératrice. Il faillit sursauter quand elle tendit le bras vers lui.
— Vous connaissez le komès de ma garde, n’est-ce pas, stratège ? Il a tranché des obstacles plus durs que votre cou.
Zoé regarda fixement Attaliétès pendant un instant, puis, de ses doigts élégants, choisit une autre olive. Ses yeux se posèrent de nouveau sur le jeune homme.
— Stratège, je m’aperçois soudain que cet impudent de Siméon a dû oublier de vous faire part de la tenue de rigueur pour notre dîner. Siméon, vous devez présenter des excuses. Conduisez notre stratège à la cuisine et trouvez-lui un vêtement d’une couleur plus… en harmonie.
Siméon s’avança derrière Attaliétès ; le stratège rougit comme une vierge, mais ses yeux hautains ne trahirent aucun remords. Les rides imperceptibles au coin des yeux de Zoé tremblèrent légèrement.
Haraldr se leva brusquement et enjamba son divan. Un des eunuques lui tendit sa hache à une seule lame. Haraldr fit claquer la lame contre sa poitrine.
La mâchoire d’Attaliétès trembla de surprise et de colère. Il se leva à regret et Haraldr s’avança. La main desséchée de Siméon se posa sur le bras du stratège. Haraldr fit un pas pour les suivre.
— Non, komès Haraldr, dit l’impératrice. Je vous assure que Siméon a assez de force pour escorter notre stratège comme il convient. En outre, vous laisseriez mes invités privés de votre compagnie. Reprenez votre place.
Haraldr rendit sa hache à l’eunuque et s’allongea de nouveau sur son divan. Il savait qu’il venait de se faire un ennemi, mais il avait du même coup pris conscience d’une vérité inéluctable : il était aux ordres de l’impératrice. Comme son époux, quelles que fussent les rumeurs qui couraient à son sujet, elle était plus que capable de se faire obéir. Et qui était l’ennemi de l’impératrice devenait l’ennemi de Haraldr. Une vérité dangereuse.
Le deuxième plat était un énorme poisson poché, nappé dans une sauce huileuse appelée garos et entouré de minuscules œufs de poisson. Zoé parla avec Anna pendant un moment ; la jeune fille semblait avoir pris l’algarade sans émoi. Haraldr trouva cela intéressant ; elle semblait très jeune et rougissante, mais elle avait une grâce de femme. Quand il eut terminé son poisson, il la regarda fixement jusqu’à ce qu’elle croise son regard. Elle pencha légèrement la tête.
— Komès ?
Haraldr, nerveux, passa en revue quelques passages d’Homère dont il se souvenait ; Grégori l’avait incité à étudier le célèbre scalde grec ancien.
— « Laodiké, la plus adorable de toutes les filles…»
La fourchette de Constantin cliqueta sur son assiette d’argent. Il leva les yeux comme s’il venait d’entendre un chien parler. Même Zoé demeura un instant bouche bée. Anna rougit et ses paupières battirent. Zoé se pencha en avant et ses yeux passèrent de Haraldr à Anna.
— J’ai certainement entendu des citations du barde beaucoup plus subtilement… allusives, dit-elle. Mais aucune aussi… extraordinaire.
Zoé regarda Maria ; Haraldr ne se retourna pas pour voir la réaction de la maîtresse des robes.
— Je ne savais pas que vos… inclinations s’étendaient à la poésie, s’écria l’impératrice.
— J’espère que Votre Majesté impériale et cette estimable jeune dame ne jugent pas ceci comme une indignité. Dans ma propre langue, qui n’a pas la grâce du grec mais qui n’est pas sans beauté, j’ai composé des vers. Et trois hommes de mon entourage consignent en vers la valeur des Varègues qui servent Votre Majesté. Il est normal pour un roi du Nord d’avoir toujours des poètes en sa
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