Byzance
semaine un de mes posadniki m’a demandé si j’étais au courant des bruits sur la présence à Kiev du prince norvégien qui s’était enfui à Stiklestad.
Iaroslav s’arrêta et adressa à Haraldr un regard inquisiteur.
— Commences-tu à comprendre ?
Haraldr était trop stupéfait pour réfléchir. Un bourdonnement métallique alarmant emplissait ses oreilles. Iaroslav respira à fond avant de reprendre.
— Mes soucis sont ceux d’un homme d’État, dit-il en lançant un regard en biais à sa femme. Si ton frère avait prêté davantage attention à la discipline et moins au…
Il hésita.
— Oui, si ton frère s’était montré plus prudent, il n’aurait pas affronté le roi Knut comme il l’a fait, et en ce moment je n’aurais pas besoin de m’inquiéter de tes ennemis…
Il s’arrêta brusquement.
— Je me perds… Oui, voici huit ans que les Petchenègues bloquent le Dniepr. Et mon premier objectif est donc de rouvrir le fleuve au commerce. Avec les bénéfices, j’engagerai des troupes supplémentaires et nous exterminerons les Petchenègues comme nous avons exterminé les Avars, et plus récemment les Polonais. Ton compatriote le jarl Rognvald a généreusement accepté sa nomination à la tête de la flotte marchande qui part pour Constantinople. Sans doute pourras-tu contribuer en quelque manière au succès de l’entreprise.
Ces paroles tombèrent comme une hache sur la nuque de Haraldr. La descente du Dniepr était un jeu de hasard où les gagnants étaient rares. Même le jarl Rognvald avait avoué qu’il avait peu de chances de voir les murs de Constantinople. Le jarl allait prendre le risque de ce voyage mortel dans l’intérêt de la Norvège, mais il n’estimait pas que la Norvège avait intérêt à ce que son prince finisse ses jours dans le Dniepr. Haraldr n’avait guère insisté pour l’accompagner, et pas seulement à cause d’Elisevett. Depuis Stiklestad, il ne connaissait que chagrin et solitude ; même si sa poitrine se déchirait à la pensée de quitter Elisevett, il se savait capable de supporter ce surcroît de souffrance. Mais sur le fleuve il lui faudrait affronter un obstacle qu’il se croyait incapable de surmonter : la peur. Une peur qui l’humilierait encore aux yeux du monde entier, comme la peur ressentie à Stiklestad… Le cauchemar d’ombre et de sang repassa devant ses yeux : il se sentit percé à jour par sa peur. Oui, il n’était qu’un lâche.
Les petites dents pointues de Iaroslav apparurent un instant.
— Ne fais pas cette tête, petit. Plus d’un trésor attend au bord du fleuve. Même un fainéant comme toi a dû rêver de servir dans la Garde varègue de l’empereur. D’ailleurs nous avons reçu cet après-midi même un éminent représentant de la Garde de l’empereur, subtil et raffiné comme un Grec. Hakon, dit l’Œil-de-Feu. Tu ferais bien d’imiter sa diligence.
L’esprit de Haraldr passa du cauchemar passé aux cauchemars qui l’attendaient sur le fleuve. Hakon l’Œil-de-Feu. Le lieutenant de Mar Hunrodarson, le célèbre chef de la Garde varègue du grand roi. Le plus redouté, le plus brutal combattant du monde, après Mar. Depuis des semaines le bruit courait que Hakon se joindrait à l’expédition jusqu’à Miklagardr et qu’il emmènerait cinq cents candidats, triés sur le volet, pour la Garde varègue. La peur aurait donc cinq cents visages. Et un démon pour les commander.
Iaroslav se leva et tendit ses doigts boudinés à Haraldr.
— Des hommes de moindre sang que toi sont partis chercher l’aventure à Constantinople et en sont revenus avec une fortune royale. Je te le souhaite. Adieu donc, Haraldr Nordbrikt. Espérons que si nous te revoyons tu seras un autre homme.
Ingigerd suivit Haraldr dans l’antichambre. Elle lui prit les bras et le tourna vers elle.
— C’est la seule possibilité pour l’instant, tu le sais. Le jarl Rognvald veillera sur toi. Elisevett et moi prierons.
Elle le serra dans ses bras avec une intensité qui surprit le jeune homme. Jamais elle ne l’avait touché auparavant. Elle restait toujours à l’écart comme si sa chair risquait de conjurer un spectre banni.
— Tu me manqueras sans doute plus qu’à Elisevett. Elle est jeune et je suis… finie.
Le bleu de son regard parut fondre. Elle lui prit le visage entre ses mains et regarda fixement dans ses yeux, comme si elle ne devait plus jamais boire à cette fontaine de vie. Un sanglot fit
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