Byzance
saluerait s’il n’était pas si occupé à faire comme si vous n’existiez pas.
— Grégori, lança le jarl Rognvald, je tiens à te présenter Haraldr Nordbrikt. Traite-le comme mon fils. Il est différent de la plupart des jeunes de notre race. Il a une passion… Forte mais douce. Il écrit des vers.
Le jarl ébouriffa les cheveux longs du jeune homme.
— Nous disons parfois que nos scaldes « boivent la bière d’Odin ». Ce soir Haraldr a bu aussi de la bière ordinaire.
— Un poète… répondit Grégori d’un ton de louange. Il faut qu’il étudie Homère.
L’ambassadeur s’essuya la bouche comme pour essayer d’en ôter de la saleté et parla vivement à Grégori sur le rythme liquide, interminablement sinueux de la langue grecque. Son commentaire dura plusieurs minutes. Grégori hocha la tête respectueusement, puis prit la parole, en s’efforçant de contenir un sourire.
— Jarl Rognvald, on dit parfois que dans notre gouvernement, un homme s’élève par l’accumulation de ses mots. C’est faux, sinon notre auguste ambassadeur serait déjà sur le trône de l’empire. Voici ce qu’il a dit : Tout d’abord, que je ne dois pas échanger des plaisanteries oiseuses avec des « Barbares du Nord ». Pardonnez-moi, mais il faudra vous habituer à ce terme. Et plus pertinemment, que les documents pour la flotte entière des quatre cent quatre-vingt-six bateaux sont en ordre. Rien ne peut retarder notre départ. Sauf bien entendu si l’auguste ambassadeur décide de faire un discours.
Le jarl Rognvald retint son rire. Il supposa que l’ambassadeur s’empresserait de s’en offenser.
— As-tu vu Hakon ? Je veux lui parler au plus tôt.
Grégori haussa les sourcils.
— J’ai vu le manglavite plus que je ne le souhaiterais.
— Manglavite ?
— Hakon l’Œil-de-Feu porte le titre officiel de manglavite. Il nettoie symboliquement le passage devant l’empereur pendant les processions officielles. C’est un honneur extraordinaire.
L’eunuque n’ajouta pas que c’était un honneur particulièrement extraordinaire pour un Barbare – et un témoignage effrayant du pouvoir colossal, malin, du protecteur de Hakon, Mar Hunrodarson.
Grégori conduisit le jarl et Haraldr au campement des Varègues. On eût dit que les cinq cents jeunes guerriers s’étaient réunis en une meute tapageuse autour d’un centre de gravité. Haraldr suivit le jarl au milieu d’eux, les yeux baissés. Il était plus grand et large d’épaules que la plupart, mais il avait l’impression que tous remarqueraient sa lâcheté et se riraient de lui.
Au centre de la foule se trouvait une femme nue, une rude fille de ferme, rougeaude avec des cheveux ras d’esclave, de grosses fesses fermes et de petits seins aux mamelons de garçon. Elle était tournée vers un homme assis sur un tonneau de bière. Un homme énorme, même pour la race du Nord. Il portait une courte byrnnie couleur d’or mais était nu au-dessous de la ceinture ; ses jambes musclées semblaient les piliers d’un temple colossal. Il avait la tête baissée sur sa poitrine et ses longs cheveux d’or dissimulaient ses traits. Il avait une main sur son aine comme s’il avait été blessé, et Haraldr ne s’aperçut pas tout de suite qu’en réalité le géant caressait son membre, apparemment pour provoquer une érection et pénétrer la malheureuse esclave sous les yeux de tous. Puis Haraldr remarqua l’autre esclave nue, une gamine frêle assise sur le sable, abandonnée. Du sang tachait l’intérieur de ses cuisses. Plusieurs autres esclaves, attachées par des cordes, attendaient leur tour.
Le géant leva la tête. Sa longue barbe dorée était tressée en des dizaines de petites nattes piquetées de pépites d’or scintillantes. Les taches orange sur ses yeux bleus, qui lui avaient valu son surnom, étaient nettement visibles. Les yeux de feu de Hakon errèrent en tous sens, aussi dangereux que des armes, puis se fixèrent sur le jarl Rognvald. Les lèvres épaisses s’écartèrent pour offrir un large sourire d’ivoire.
— Jarl Rognvald. J’ai l’impression que mon carquois est provisoirement vide.
Il baissa de nouveau la tête pour se concentrer sur son membre mou.
Le jarl Rognvald s’était raidi de dégoût. Capturer, posséder et vendre des esclaves était accepté dans le Nord ; les maltraiter, et surtout de cette manière, était une honte. Mais assez d’ennuis l’attendaient déjà sur le
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