Byzance
dévisager d’un air ébahi la femme enveloppée de soie qui passait pour la mère du prophète Christ. Maria évita le regard de Zoé.
— Petite fille, lui lança l’impératrice, tu fais beaucoup trop de cas de tout ceci. Demain, nous serons à Alep, nous aurons de nouveau notre Léo, et l’émir nous régalera aussitôt de contes de son pays exotique. Sais-tu que leur littérature est beaucoup plus… crue que la nôtre ? Je suppose qu’elle explique pourquoi tous les fils d’Agar ont tellement peur des femmes qu’ils se croient obligés de les maintenir sous clé. Après tout, elles ont entendu tant d’épopées sur les… tentations. Dommage que la réalité soit si inférieure à l’art. As-tu remarqué comme leur peau est grossière ?
— Jamais nous ne verrons Alep.
La voix de Maria, faible et grave, était à peine reconnaissable.
— Petite fille ! Ne me dis pas que le prophète qui hante l’Orient t’a prise pour messagère. Tu es aussi sinistre qu’un bogomile . D’où sors-tu cette… certitude ?
— Il me l’a dit.
Maria releva soudain la tête, ses yeux étincelèrent, et les paroles jaillirent de ses lèvres :
— Il me l’a dit pendant qu’il me faisait l’amour !
Zoé plissa les lèvres.
— Ma chérie, ne voudrais-tu pas me donner quelques détails ?
— J’avais l’intention de le tuer. Comme dans mon rêve. J’avais même apporté le poignard.
Zoé ferma les yeux et s’appuya au mur.
— Oh ! ma chérie, j’espérais que tout ceci était bien fini ! Cela date de si loin. Tu ne vas pas recommencer à revivre cet… accident avec chaque homme. Tout le monde sait que ce n’était pas ta faute.
— Jamais il n’y a eu un homme comme celui-ci. Ce Haraldr, dit Maria d’une voix hantée. Tous les autres se sont simplement contentés de me délivrer du poison, d’aspirer la pourriture de mon âme avec la trompe qu’ils ont entre les jambes, et ils se sont repus de ce gruau obscène parce que c’était la seule nourriture que leur propre corruption pouvait digérer. Ils m’ont laissée vide mais purifiée de mes propres humeurs mauvaises. Cet homme, en revanche, m’a emplie de la brillance des étoiles. Comme un soleil. Comme mille soleils. Une lumière pure et ardente. Une incandescence dans laquelle chaque destin se trouve révélé. Une lumière dans laquelle j’ai vu l’amour et la mort comme des amants unis dans l’extase folle que je partageais avec eux. À l’instant où cette lumière a brillé d’un éclat infini, il m’a proposé un échange. Il m’a offert cette lumière en échange de ma vie. Il offre ce marché à tous ceux qu’il touche. Je l’ai vu dans ses yeux. Il y a des âmes prisonnières dans ses yeux, mille milliers d’âmes pour mille années. Je le sais. Je suis avec elles en ce moment. Il vit et je mourrai.
Zoé se glissa à côté de Maria et lui prit la main, elle était inerte, presque sans vie.
— Petite fille, soupira-t-elle. Tu viens d’entrer dans un royaume que je connais peut-être mieux que toi. Notre komès Haraldr t’a ensorcelée. La peur est l’aphrodisiaque le plus puissant ; non seulement il suscite la passion, mais il unit les âmes. Tu étais présente quand il a tué cet homme, n’est-ce pas ?
Maria hocha la tête.
— Le sang m’excite. J’ai eu envie qu’il me fasse encore l’amour.
Zoé haussa les sourcils pendant un instant.
— Ma foi, dit-elle en conclusion, chacun est malade de ses propres passions. Je suis l’esclave de simples caresses et de prévenances, alors que toi, qui es beaucoup plus… cosmopolite, tu as développé des… désirs plus complexes. Jamais nous ne pouvons épuiser complètement ces passions, mais nous pouvons cependant acquérir la sagesse de les supporter. Tu es sage, mon enfant, tu supporteras tes passions longtemps après que ce komès Haraldr sera reparti vers les vierges aux seins glacés de la lointaine Thulé.
Zoé embrassa le front de Maria.
— Je préfère penser que ton inquiétude injustifiée sur notre sort a enflammé tes souvenirs du géant doré. Quand nous le reverrons, tu ne trouveras en lui qu’une autre curiosité tauro-scythe.
— Vous n’avez pas peur, Mère ?
Les yeux de Maria étaient en feu, exorbités.
— Mais non, voyons. Je suis en ce bas monde l’être humain qui a le plus de prix. Je peux rapporter une rançon bien supérieure à tous les objectifs qu’on pourrait atteindre en plaçant mon âme
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