Byzance
par terre.
— Oh ! mon oncle, mon oncle, mon oncle ! Je préférerais mourir ! Par Théotokos, mon oncle ! gémit-il en se prosternant sur les dalles hexagonales.
Il enfonça le savon dans sa bouche, agita les bras en tous sens, comme les tentacules d’un poulpe que l’on sort des profondeurs pour le laisser mourir sur les rochers. L’odeur de son urine se mêla à l’amertume fatale du savon.
Joannès se dressa au-dessus de lui, terrible dans sa nudité. Il étendit ses bras déformés, pareil à un démon arrachant une âme du sein même du Christ. Il saisit son neveu par les cheveux et tira en arrière. Le cou de Michel se tordit et ses yeux terrifiés roulèrent pour affronter le visage de la mort. Joannès arracha le savon des mâchoires écumantes de Michel et le jeta dans la piscine.
— Ce savon n’est pas empoisonné, mon neveu. Je ne mourrai pas de sitôt comme vous l’espériez, ni vous non plus, malheureusement. Votre âme sera arrachée morceau par morceau, au Néorion, selon le programme que j’établirai.
Joannès enfonça le genou dans les reins de Michel et tira plus fort sur ses cheveux.
— Vous pourrez accélérer ce programme en me disant tout de suite qui participe à ce complot avec vous.
Michel Kalaphatès, césar de Rome, leva les yeux vers le ciel noir et vit les bras d’or du Pantocrator en train de se tendre de nouveau vers lui.
— La catin ! cria-t-il. C’est la catin qui m’a ordonné de le faire !
* *
*
— Laissez-le me voir à présent, dit une voix de femme.
Ce n’était pas la même femme qui avait parlé dans la foule. Cette voix était calme, maternelle, mais avec un accent de grande autorité. Haraldr avait mal aux mains, mais sa tête restait claire. Le coup qu’il avait reçu ne l’avait pas gravement blessé, sa vision ne s’était obscurcie qu’un instant et il était tombé sur les genoux. Les voyous en avaient profité pour lui ligoter les mains et les pieds, puis pour glisser plusieurs sacs de toile sur sa tête. On l’avait jeté dans une sorte de charrette, puis recouvert d’une couverture ou d’un tapis, et il avait roulé ainsi de cahot en cahot pendant une demi-heure. Il avait entendu les bruits des flammes, des cris lointains, des bruits d’animaux. La charrette avait tourné plusieurs fois.
On arracha les sacs de sa tête et la lumière de la torche le fit cligner des yeux. Il était assis par terre dans une petite pièce bien tenue. La femme était debout. De petite taille, cheveux blancs, avec les traits bouffis d’une femme dont la beauté s’est alourdie avec l’âge. Elle portait une tunique de toile sans manches, usée jusqu’à la corde mais propre. Ses rondeurs tendaient le tissu. À ses côtés, sur une chaise toute simple de bois au dossier courbe, se tenait un homme encore plus âgé qu’elle. Ses yeux étaient d’un blanc laiteux : la cataracte. Derrière le couple âgé, regardant par-dessus leurs têtes argentées, se trouvait l’homme à la bague de saphir.
— C’est moi l’Étoile bleue, dit la vieille femme.
Elle se retourna, prit le colosse par l’oreille et le tira vers l’avant jusqu’à ce que sa barbe se perche sur son épaule.
— Ce malandrin est mon fils. Il se sert de mon nom, et cela me protège. Cela vous a induit en confusion ? Mais la confusion est mon gagne-pain maintenant, si je puis dire. Il faut que l’on me connaisse, mais sans me connaître. Ce grand diable m’aide sur ce point. Il n’est pas bon à grand-chose d’autre…
Elle lâcha l’oreille de son fils et lui donna une claque sur la joue. Elle posa ensuite sa main sur la tête du vieillard, et caressa ses cheveux blancs.
— C’est mon mari. Il est également sourd, dit-elle avant de se tourner de nouveau vers son fils. Je donne au gamin des instructions précises. Pour qu’il ne cafouille pas tout. Détache-le, ordonna-t-elle.
Haraldr se frotta les mains et les chevilles, puis regarda la femme.
— L’Étoile bleue, commença-t-elle, est un nom que les gens de la ville connaissaient autrefois très bien. La voici…
Non sans difficulté à cause de la tension du tissu, la femme baissa sa tunique presque jusqu’au mamelon de son sein gauche. Sur sa peau rougeâtre, la marque de naissance n’était pas bleue mais d’un marron estompé qui avait dû être violet jadis ; ce n’était pas une étoile parfaite mais elle avait cinq pointes irrégulières.
— L’Étoile bleue. Ils l’ont vue.
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