Byzance
jambes.
Haraldr s’imagina emporté par un tourbillon, ballotté par la folie de Rome. Songer à cette femme nue, offerte, était déjà une forme d’ivresse. Songer au pouvoir que la pénétration de sa chair conférerait, c’était quitter le royaume du milieu et folâtrer parmi les dieux… Mais tout cela n’était que fantasmes. Délires de cette femme. Des promesses vides. La folie d’un instant fit place à la raison cruelle.
— Pour célébrer nos fiançailles, dit-il, j’arracherai du ciel la ceinture d’Orion et je la passerai autour de vos reins. Il me suffira de l’atteindre, dit-il en montrant la constellation au-dessus d’eux.
Zoé sourit, comme un enfant préparant une espièglerie.
— Ma couronne n’est pas si inaccessible que votre cadeau de noces. Mais en la refusant, vous m’avez donné l’assurance dont j’ai besoin : la preuve que votre ambition a des limites réalistes. Laissez-moi vous donner l’assurance dont vous avez besoin. Si vous le désirez, je jurerai… Oui, je jurerai sur un fragment de la Vraie Croix, sur laquelle notre Sauveur est mort, de tenir l’autre promesse que je vous ai faite ce soir.
Haraldr connaissait l’importance de ces reliques parmi les Romains, mais il ne vit aucune raison de lui faire prononcer un serment de ce genre.
— Si j’échoue, j’aurai la possibilité d’utiliser votre complicité en échange de la vie de mes hommes. C’est le serment que vous avez prononcé ce soir.
Zoé, pareille à une statue de marbre aux yeux d’améthyste, frissonna légèrement.
— Vous êtes devenu plus… civilisé que je ne m’y attendais, manglavite Haraldr. Mais vous n’avez cependant pas perdu votre… impétuosité. Puisque vous vous montrez si sincère ce soir, permettez-moi de vous demander ceci : quand je vous ai offert Rome, ne l’avez-vous pas désirée ardemment pendant ne serait-ce qu’un instant, quel qu’en fût le prix ? N’y a-t-il pas eu un instant où vous m’avez désirée ? ajouta-t-elle après une brève hésitation.
Haraldr acquiesça. Les yeux de Zoé parurent plus chauds et la pierre se fit chair vivante. Elle s’avança vers lui ; il sentit la tiédeur de son corps. La beauté de son visage dépassait toute imagination.
— Très bien. Si vous échouez, nous mourrons tous les deux. C’est un destin qui nous unit déjà. Si nous devons être consumés dans cette mort, soyons amants dans cette vie.
Elle l’enveloppa de ses bras et appuya sa tête parée de bijoux contre la poitrine du Barbare. Elle fut tout ce qu’il avait désiré qu’elle soit : désespérée, innocente, noble, tendre ; son corps et son visage, des trésors de désir. Il lui fit l’amour pendant une nuit entière. Et quand l’aurore colora de rose les rives du Bosphore, il l’enveloppa de nouveau dans ses bras et prit conscience de deux vérités affolantes : il pouvait aimer cette femme ; et il ne pourrait jamais cesser d’aimer Maria.
* *
*
Jean Proténon regarda son voisin Stéphane et leva les bras au ciel.
— Des bœufs égarés, dit-il, non sans sympathie mais sans se montrer trop encourageant, tout en s’essuyant les mains sur sa tunique grossière trempée par la pluie. Écoutez, il faut que j’aide mon frère aux labours. Ce n’est pas parce que je suis soldat que je dois me mettre à la recherche d’animaux égarés. La prochaine fois qu’un empereur aura envie de les attaquer, lança-t-il en tendant le bras vers la frontière bulgare du Danube, à deux journées de cheval vers le nord, je serai obligé de partir et vous, vous resterez. Vous ne m’aiderez pas à combattre les Bulgares. Pas plus que vous ne songez à m’aider maintenant à labourer le champ de mon frère.
Dans le champ voisin, le frère de Jean suivait un bœuf attelé à une lourde charrue. Stéphane resta planté dans le brouillard ; ses grands yeux gris ternes semblaient nager au-dessus de ses pommettes émaciées. « Il n’a pas l’air de manger à sa faim », se dit Jean, ce qui était probablement la vérité. Avec l’augmentation de la taxe sur les fenêtres qui s’était ajoutée à la taxe sur les foyers, avec les corvées incessantes qui arrachaient les hommes de leur ferme pour construire ces routes allant nulle part, des paysans honnêtes comme Stéphane avaient souvent l’air de chiens égarés. Jean se sentit vaguement coupable… En tant que soldat-laboureur, il était exempt de ces taxes supplémentaires alors
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