Byzance
t’obliger. »
— Vous savez que je me suis opposée à sa liaison avec vous ?
— Non. Mais ça ne m’étonne pas. C’est une dame du plus haut rang et je suis un simple manglavite barbare, serviteur de Rome. Je me flatte que mon service auprès d’elle lui ait apporté une certaine satisfaction. Tout en me considérant libre de me mettre au service d’une autre.
— Donc, vous êtes en colère contre elle.
— Seulement déçu. Mais je suis un homme du Nord. Nous ne tenons pas rancune au soleil de se coucher.
Zoé cala son menton sur ses mains ravissantes.
— Comme vous êtes ingénu ! Votre cœur est assez grand pour avouer le chagrin qui l’accable. Je regrette de ne pas avoir abordé avec vous plus tôt des sujets romantiques. Votre façon de voir m’intéresse.
Zoé mangea son poisson en silence, puis regarda Haraldr pendant un moment. Il soutint son regard, par défi mais aussi parce que cette femme le fascinait.
— Croyez-vous que j’aime mon mari ? demanda-t-elle enfin.
— Comment connaîtrais-je votre cœur, Majesté ?
— Je l’aime. Je ne le reverrai jamais. Je demanderai cette faveur, mais elle ne me sera pas accordée.
Haraldr perçut de la tristesse dans ses yeux couleur d’améthyste. Oui, elle aimait vraiment son mari, même si elle avait pris un amant en son absence. « Peut-être un peu comme moi, se dit-il, avec ma fille du pays des Alains. »
— Majesté, vous portez votre chagrin avec une grâce qui enrichit l’âme.
— Chaque instant que nous passons avec une personne que nous aimons est du temps volé au destin. J’ai connu mon interlude avec le soleil dans mes bras. Comme vous, je ne tiens pas rigueur au soleil quand il embrasse la nuit.
Un eunuque découpa l’agneau rôti et Zoé se tut. Quand le serviteur se fut éloigné de la table, elle se pencha légèrement vers Haraldr, les lèvres luisantes à la lueur des sièges.
— J’ai entendu dire que vous entretenez ou avez entretenu plusieurs femmes, êtes-vous revenu à elles ?
— Seulement à la prostituée que j’ai achetée à Anatellon. C’est une joie creuse.
— Oui, mais la plupart de nos plaisirs sont plats et les grandes joies de la vie se retournent presque toujours contre nous et nous valent de la douleur.
Du vin sans eau accompagnait le dessert. Zoé bavarda gaiement pendant un moment, le régala d’anecdotes sur le Bulgaroctone et les anciens dieux, puis d’aventures scandaleuses. Quand elle appela le prêtre pour dire les grâces de la fin du repas, Haraldr fut fort déçu. Il avait espéré entendre sa voix rauque longtemps dans la nuit et oublier Maria pendant quelques heures.
Il se leva comme le dictait le protocole et croisa les mains sur sa poitrine. Le front pâle de Zoé tressaillit légèrement.
— C’est la première nuit où il fait assez chaud pour s’asseoir sur le balcon. Venez bavarder avec moi.
Le balcon de Zoé était une large galerie sur laquelle s’ouvraient ses appartements. Au-dessous d’eux, la constellation multicolore des lumières du Palais descendait jusqu’à la mer. Vers l’est, de l’autre côté de l’eau, Chrysopolis brillait de tous ses feux. Haraldr se rappela l’autre balcon, sur l’autre rive du Bosphore, et ce qu’il avait ressenti auprès de Maria. À présent, son âme s’orientait dans une autre direction. « Mon voyage de retour vient de commencer, se dit-il. Je tourne le dos non seulement à Maria, mais à cet autre amour qui ne peut plus me retenir, celui de la Ville impériale. J’ai passé la nuit dans les bras de ces deux maîtresses, j’ai connu leur passion semblable à une drogue et leur folie mortelle. À présent je ne désire plus que les abandonner à leur propre destin tourmenté. J’ai un devoir à accomplir envers le peuple du Stoudion et j’ai l’âme d’Asbjorn Ingvarson à venger. Ensuite, ce sera le tour de la vengeance qui hurle à travers les plaines sans fin de Rus et qui crie dans ma poitrine comme un chant de corbeau : la Norvège. »
Zoé se rapprocha de lui et posa la main sur son cou ; ce contact fit frémir Haraldr comme si la Vierge d’une mosaïque l’avait touché. Elle pencha la tête et chuchota près de son oreille :
— Parlez doucement et le vent emportera nos paroles. On dit que l’hétaïrarque et vous avez l’intention de vous attaquer à l’orphanotrophe.
— Nous avons des intentions mais pas de plan, répondit-il en toute sincérité (mais
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