Byzance
lancer un coup d’aiguillon.
— Il vous faudra agir vite, Éminence. Je connais à la cour des personnes prêtes à doubler mon prix. Mais je préférerais compter le frère de notre saint autocrate et de notre orphanotrophe béni parmi les clients que Giorgios Maléinos a contribué à enrichir…
Constantin leva la main pour réduire au silence cet astucieux prince des colporteurs.
— Vous aurez votre prix. Moins un escompte raisonnable pour paiement comptant en or et en une seule fois. Dès notre retour dans la Ville impériale, mon bon.
* *
*
Haraldr posa le sac de toile sur la table de bois ; le paquet était si lourd que la table craqua et pencha de côté. L’Étoile bleue croisa les bras sur sa poitrine et lui lança un regard ironique ; elle portait la même tunique de toile sans manches que lors de leur première rencontre. Son mari aux yeux blancs était assis à côté d’elle. Haraldr ouvrit le sac pour montrer à l’Étoile bleue les centaines de solidi d’or.
— J’ai une douzaine de ces sacs pour vous, dit-il. Je me suis dit qu’ils seraient davantage en sécurité dans la chambre forte de mon palais, mais je les ai mis de côté pour vous et pour le peuple du Stoudion. Je vous les apporterai quand vous en aurez besoin. J’espère que vous vous en servirez pour acheter de la nourriture.
Pendant un bref instant, les yeux de l’Étoile bleue parurent aussi innocents que ceux d’une fillette. Aussi innocents peut-être que le premier jour où elle avait rêvé de foules en train de l’applaudir sur l’Hippodrome. Elle attira la tête de Haraldr vers elle et lui donna un baiser de grand-mère sur la joue ; Haraldr songea à sa propre mère, Asta. Il y avait si longtemps qu’aucune femme ne l’avait embrassé ainsi !
— La Théotokos vient de dire une prière pour vous, mon enfant, aux pieds de Dieu. Et si je vais là-haut, ce qui n’est pas du tout certain, je dirai une prière chaque jour pour vous jusqu’à ce que vous veniez nous rejoindre.
Elle marqua un temps, et son visage reprit toute sa dureté.
— Mais ce n’est pas d’or dont le peuple du Stoudion a besoin, mon enfant. Oui, l’or servira à les nourrir. Pendant quelque temps. Moins de temps que vous ne pensez, et moins de personnes que vous ne l’escomptez. Combien croyez-vous qu’il y a d’hommes, de femmes et d’enfants ici ?
Sa question était de pure rhétorique, mais Haraldr estima que la population du Stoudion devait égaler celle de la Norvège et de la Suède réunies.
— Quand tout ira plus mal, ils augmenteront les impôts des paysans pauvres d’Hellade et d’Anatolie, ils leur ôteront le pain de la bouche pour nous le donner, afin de rogner le mordant de notre colère. Les percepteurs d’impôts eux aussi nous apporteront des sacs d’or, mon enfant, quoique sans la générosité qui anime votre cœur.
L’Étoile bleue prit la main de Haraldr entre ses deux mains ; il sentit qu’elle gardait encore un peu de sa force d’athlète.
— Ce dont ces gens ont besoin, c’est d’une nourriture pour l’âme. Ils ont besoin de croire que quelqu’un se soucie d’eux – pas seulement quand la faim provoque leur colère et risque de les faire ramper hors de leurs égouts pour se jeter sur les dynatoï. Ils ont besoin de croire que quelqu’un veille sur eux, de sorte que s’ils défrichent le terrain devant leur porte pour planter des légumes, les soldats ne puissent venir les saccager. Ils ont besoin de sentir qu’ils peuvent réparer les trous de leur toit sans qu’on les incendie si un cursor est assassiné à cinq rues de là. Ils ont besoin de croire que si leur enfant attrape une maladie, quelqu’un là-haut sur les collines se souciera de savoir si cet enfant vivra ou mourra. Le Bulgaroctone remplissait ce rôle pour la population du Stoudion. Il n’a pas fait autant que vous pourrez croire, jeune homme, mais suffisamment pour rendre à tous ces gens un peu d’espoir. Eux-mêmes ont fait le reste. Le Stoudion ne meurt pas parce que les gens n’ont rien à manger. Il meurt parce que les gens ont perdu l’espoir.
Haraldr essaya d’imaginer ce que ce serait de s’éveiller chaque matin dans l’enfer du Stoudion et de lever les yeux vers les splendides palais des collines.
— L’espoir… dit-il enfin. Je continuerai cependant de vous apporter cet or, parce que je ne crois pas qu’un ventre plein puisse priver quiconque d’espoir. Mais je compte aussi
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